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L’encyclopédie médicale en ligne va maintenant bénéficier du réseau de l’Université Laval.
Deux médecins québécois ont inventé le Wikipédia de la médecine. Baptisé Wikimédica, le projet, qui a vu le jour en 2017, vient de passer à la vitesse supérieure grâce à un partenariat conclu avec l’Université Laval.
L’encyclopédie médicale en ligne, qui s’étoffait jusqu’à présent grâce au bouche-à-oreille, va maintenant bénéficier du réseau de l’institution pour augmenter son bassin de contributeurs et sa portée au sein de la sphère des professionnels de la santé.
Le principe de la plateforme est simple. Comme son modèle encyclopédique bien connu du grand public, Wikimédica met à disposition librement et gratuitement des articles synthétisant les connaissances médicales sur le plus de sujets possible, en attendant de le faire sur tous les sujets possibles.
À ce jour, plus de 1200 articles sont disponibles, portant sur des sujets allant de l’abarognosie au zona ophtalmique. Le premier, comme l’explique Wikimédica, est la perte de la capacité de détecter le poids d'un objet tenu dans la main. Le second est une maladie oculaire qui se manifeste généralement par une éruption cutanée douloureuse.
Mais contrairement à son modèle encyclopédique bien connu du grand public, Wikimédica ne s’adresse justement pas au grand public. La plateforme est dédiée aux professionnels et aux étudiants du milieu de la santé.
Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont motivé la création de la plateforme, lorsque ses fondateurs, les docteurs Michaël St-Gelais et Antoine Mercier-Linteau, étaient encore sur les bancs de la faculté de médecine.
Tout est parti d’une clé USB, raconte Michaël St-Gelais. Celui qui était encore étudiant en médecine à Laval au tournant des années 2010 raconte qu’à l’époque, une clé qui se passait de main en main leur permettait de se transférer des documents, des résumés de cours, tout ce qui pouvait les aider à réussir leurs examens. Le réseau était plutôt limité, concède l’ancien étudiant, qui a laissé tomber la clé USB pour une nouvelle approche.
«J’avais commencé par faire un Dropbox commun qui partageait ces contenus-là pour l’ensemble des gens de ma classe, se souvient-il, amusé. Puis on s’est rendu compte que ça ne marchait pas super bien, des Dropbox, pour partager du contenu!»
Fort heureusement, Antoine Mercier-Linteau, déjà ingénieur en informatique, a décidé de se réorienter et a intégré à son tour la faculté de médecine de Laval. C’est lui qui a fait connaître le principe des wikis à la troupe d’étudiants. Les systèmes D ont ainsi laissé la place à une solution plus durable.
Après ça, les deux médecins en devenir ont laissé tomber l’aspect étudiant pour s’orienter vers une visée professionnelle. «Les médecins ne sont pas en mesure de retenir toute l’information. Ils ont en général des logiciels sur leur téléphone qui leur permettent de chercher des références au chevet des patients, explique le Dr St-Gelais. Ce que Wikimédica tente de faire, c’est exactement ça: construire une base de connaissances dans laquelle il y a des articles de synthèse destinée aux professionnels et aux apprenants dans le domaine de la santé qui serve de référence.»
Le partenariat conclu avec Laval montre, selon les deux créateurs, que leur projet «a du bon sens» et propose un contenu suffisamment «respectable» pour qu’une université l’approuve. « Ça donne quand même un certain sérieux», renchérissent-ils. Ils précisent toutefois que, malgré ce partenariat, Wikimédica reste autonome. La plateforme collaborative est un organisme à but non lucratif (OBNL) au contenu en libre accès, au même titre que leur modèle.
Pour autant, tout le monde ne peut pas créer ou éditer un article. C’est l’un des filets de sécurité de Wikimédica. Il faut pour cela être détenteur d’un compte et pour pouvoir créer un compte, il faut fournir un numéro professionnel que l'institution ou l’ordre professionnel de la personne se charge d’authentifier. De plus, chaque contributeur est tenu d’utiliser son vrai nom, pour que ses propos lui soient imputables, et doit indiquer tout conflit d’intérêts lors de son inscription. «Ce faisant, on est tenu aux obligations déontologiques de notre profession, pour les médecins», ajoute le Dr Mercier-Linteau.
Bien sûr, si certaines choses sont noires ou blanches, puisqu’il s’agit de sciences, d’autres font aussi débat, la science évoluant en permanence. Le cas échéant, la ligne éditoriale de la plateforme n’est pas de prendre parti, seulement d’indiquer que l’élément ne fait pas consensus et qu'elles sont les options débattues. « Wikimédica n’est pas un lieu pour débattre de ça. Notre but c'est d'aider le clinicien sur le terrain qui a besoin d'une réponse pour mieux soigner son patient», rappelle le Dr Mercier-Linteau.
Le terrain en question, c’est celui de toute la francophonie. Les statistiques de fréquentation du site révèlent que sur la dizaine de milliers de visiteurs par mois, un tiers est canadien, un autre tiers français et le dernier tiers vient du reste de la francophonie, que ce soient les pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest ou la Belgique. Les premiers consommateurs du contenu que propose la plateforme sont d’ailleurs les Français, les Canadiens n’arrivant qu’en seconde position.
Les deux médecins citent aussi des utilisateurs en Haïti, au Cameroun, au Congo. «Ça indique un peu l’importance que pourrait avoir Wikimédica dans la santé mondiale», analyse Antoine Mercier-Linteau. Celui qui a été ingénieur informaticien «dans une autre vie», aspire aussi à ce que sa plateforme facilite aussi l’accès aux connaissances les plus récentes et aux nouveaux standards de pratique.
«Les besoins en connaissances sont tout aussi présents pour le médecin qui travaille au Togo que le médecin qui travaille dans un hôpital universitaire français. Sauf que (au Togo), on leur envoie nos vieux manuels de médecine et après ça, pour le reste, il faut qu'ils se débrouillent.» Le médecin pointe le fait que les abonnements aux grandes bases de données ne sont pas forcément très coûteux pour un praticien canadien, mais pour un professionnel de la santé avec moins de moyens, en Afrique par exemple, le coût les rend plus difficiles d'accès.
Sans compter que «c'est en anglais, pas en français», ajoute-t-il, et tous les médecins du monde ne maîtrisent pas nécessairement la langue de Shakespeare. En revanche, ils ont tous accès à internet et donc, peuvent avoir accès aux ressources de Wikimédica, gratuitement et dans leur langue d’étude, et ainsi aligner leur pratique sur les standards québécois les plus récents. «Il y a un grand potentiel de faire une différence», soutiennent les Drs St-Gelais et Mercier-Linteau.
Le projet des deux médecins québécois ne cesse de prendre de l’ampleur. Ils glissent d’ailleurs avec malice qu’un nouveau partenariat, en lien avec la chirurgie, sera annoncé prochainement.
D’ici là, ils continuent de travailler à l'intégration de l’intelligence artificielle à la plateforme, afin que les utilisateurs puissent poser des questions en langage naturel à Wikimédica, comme on peut le faire avec ChatGPT.
«Un médecin pourrait poser une question en disant: "mon patient, j'ai l'impression qu’il a telle ou telle chose, je vais lui donner tel antibiotique, mais il est allergique. Qu'est-ce que tu me suggères ?" Puis l'IA va aller fouiller dans Wikimédica et lui donner une réponse», scénarise fièrement le Dr Mercier-Linteau. Les créateurs de la plateforme en sont encore à entraîner l’IA et développer ses fonctionnalités, mais ils se risquent à dire que l’outil pourrait être disponible dans quelques mois.
Pour l’instant, la priorité reste d'augmenter le nombre d'articles disponibles et la vitesse de production de ceux-ci. Cela demande un nombre important de bonnes volontés en blouses blanches supplémentaires. Avis aux intéressés.