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Un récent procès visant un Montréalais ramène ce phénomène dans l’actualité.
Le furtivage ou stealthing en anglais — le fait de retirer un préservatif pendant une relation sexuelle sans le consentement de son ou sa partenaire — est considéré comme une agression sexuelle et est donc punie par la loi au Canada depuis 2022, ce qu'ignorent encore beaucoup de gens. Le phénomène du furtivage a d'ailleurs été le sujet d'un récent procès au palais de justice de Longueuil où un homme de 46 ans de Montréal a été acquitté lundi d'un chef d'accusation d'agression sexuelle.
La plaignante dans cette affaire — que nous appellerons Sophia en raison d'une ordonnance de non-publication décrétée par le tribunal — a porté plainte en mars 2019 soutenant que dans la nuit du 26 au 27 janvier 2019, pendant une relation sexuelle avec elle, l'homme a retiré le préservatif qu’il avait enfilé, et ce, sans son consentement. Lors du procès, l'accusé a affirmé qu'il s'agissait d'un «malentendu» et que le préservatif s'était plutôt brisé sans qu'il s'en rende compte.
Dans son verdict rendu lundi, la juge Ann-Mary Beauchemin a d'abord mentionné que, «comme c'est souvent le cas dans des cas d'agression sexuelle, la cour a fait face à des témoignages contradictoires».
Si l'homme a été acquitté, la juge a tout de même souligné que la version de l'accusé «n'est pas sans lacune» en ajoutant qu'elle n'acceptait pas, «loin de là», toutes ses explications disculpatoires. La juge Beauchemin a aussi dit que la version de la plaignante n'était pas sans lacune non plus.
S'adressant à la plaignante, la juge Ann-Mary Beauchemin a mentionné qu'il était «possible, probable même» que l'accusé ait retiré volontairement et délibérément le condom pendant la relation sexuelle visée par la plainte, mais «qu'elle n'en était pas convaincue hors de tout doute raisonnable» et que son devoir était donc d'acquitter l'accusé.
Évidemment, le verdict a déçu la plaignante.
«Ce n'est pas le résultat qu'elle aurait souhaité. Nous tenons à souligner sa force et son courage à travers le processus judiciaire. Nous allons prendre le temps de prendre connaissance de la décision pour évaluer si le DPCP va porter la décision en appel», a fait savoir à Noovo Info la procureure Annie Landriault-Barbeau.
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Dans un message à Noovo Info, Sophia a écrit : «L'accusé et moi savons très bien qu’il a enlevé le condom à mon insu et sans mon consentement. Il sait ce qu’il a fait, et je le sais aussi. Ce procès ne l’a pas blanchi et n’a pas légitimé son agression sexuelle, au contraire, cela lui a prouvé qu’il a fait un acte criminel en enlevant le condom, et cela contrairement à ce qu’il me disait [...].»
«Bien que la juge ne le croie pas, elle a mentionné qu’il aurait soulevé un doute raisonnable, donc il est acquitté. Évidemment que j’aurais voulu qu’il réponde de ses actes. Mais la vérité, elle, ne dépend pas du verdict», a-t-elle ajouté.
«Lui et moi savons exactement ce qui s’est passé et, aujourd’hui, il ne peut plus nier qu’enlever le condom à l’insu de sa partenaire est une agression sexuelle, un acte criminel qui peut conduire potentiellement à la prison.»
Il est difficile de déterminer si le furtivage (stealthing) est un phénomène ou une pratique répandue au Québec puisqu’il existe très peu de données à ce sujet que ce soit auprès d’organismes dédiés aux victimes d’agression sexuelle ou d’actes criminels ou encore auprès des différents corps policiers.
Dans la plupart des cas, le furtivage est entré dans les données liées aux agressions sexuelles, sans faire de distinction.
Laurence Desjardins, sexologue, estime pour sa part que le furtivage est arrivé davantage dans nos esprits avec les grandes vagues de dénonciation du #MeToo où la société québécoise semble avoir réévalué le mot consentement et son application.
«Avec les dénonciations, on s’est rendu compte qu’on voyait cette forme d’agression sexuelle dans certains rapports sexuels, c’est-à-dire un partenaire qui, sans l’accord de l’autre, décide d’avoir un nouveau scénario sexuel, parce que c’est ça le stealthing finalement», a-t-elle expliqué à Noovo Info.
Mme Desjardins estime d’ailleurs que le furtivage a fait plus de victimes qu’on le pense au fil des années.
Il n’est pas toujours simple de comprendre les motivations derrière le furtivage, présent notamment dans les relations queer et hétérosexuelles.
Laurence Desjardins croit toutefois que ce geste cache souvent un désir de pouvoir.
«Ça revient un peu à une question de pouvoir et d’égocentrisme où la personne dit "moi ma sexualité, mon plaisir, vaut plus que l’autre" ou "moi ce que je décide dans le scénario sexuel vaut plus que l’autre, l’autre n’a pas son mot à dire "», souligne-t-elle.
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La sexologue ajoute que les raisons avancées par les hommes qui retirent un préservatif pendant une relation sexuelle sans le consentement de leur partenaire sont variées – sans être pour autant légitimes : il peut s’agir d’une question de confort, d’une recherche de meilleure sensation, en raison d’un blocage vis-à-vis du condom ou encore par affront.
«Retirer le condom, c’est aussi enlever la barrière que tu as avec l’autre personne. Donc, le retirer et pouvoir pénétrer de peau à peau, de muqueuses à muqueuses, il y a quelque chose de très intime. Si tu le fais en secret, dans le dos de l’autre, sans lui donner l’option de dire oui ou non, on est dans un rapport de pouvoir», explique Mme Desjardins.
Le furtivage – comme n’importe quel autre type d’agression sexuelle – laisse évidemment des traces sur les victimes avec, entre autres, la crainte d’avoir contracté une infection transmise sexuellement (ITS) ou pour la femme, la peur d’être enceinte et devoir peut-être mettre fin à une grossesse.
La victime perd aussi souvent confiance en elle, en son partenaire, et parfois même envers ses futurs partenaires sexuels.
«C’est une tromperie. […] La sexualité c’est quand même la rencontre la plus intime et la plus proche au niveau de la proximité des corps. Quand nous sommes dans ce rapport-là, nous sommes extrêmement vulnérables. […] Lors que quelqu’un décide de changer les règles du jeu et impose une certaine forme de violence […] souvent les gens sont extrêmement paniqués, pris de surprise, ils vont figer, ça va venir les blesser, les déstabiliser», souligne Laurence Desjardins.
Si le Québec a progressé dans les dernières années pour revoir l’idée qu’on se fait du consentement et revoir l’idée de ce qui est acceptable ou non lorsqu’il est question de sexualité, il n’en demeure pas moins qu’il reste encore du chemin à faire.
Le retrait non consenti d'un préservatif pendant une relation sexuelle est puni par la loi au Canada depuis 2022 à la suite d’une décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ross McKenzie Kirkpatrick (Colombie-Britannique) où une majorité de juges a tranché que «l’absence du condom, sans consentement, peut constituer une agression sexuelle».
Le Canada n’est pas le seul pays à bannir cette pratique.
Depuis 2021, aux États-Unis, la Californie permet aux victimes de furtivage de poursuivre leurs agresseurs et d’obtenir réparation.
Ailleurs dans le monde, des tribunaux en Suisse, en Allemagne, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni ont déjà condamné des personnes pour avoir retiré un préservatif pendant une relation sexuelle sans le consentement de l’autre.