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Le Sénat adopte le controversé projet de loi C-5

Il ne reste plus que la formalité de la sanction royale pour que C-5 devienne réalité.

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e418076fde20a65e65fa2fed5a968d2ca76bda8fda5774facfb5b65aa810e4b8.jpg Le premier ministre Mark Carney en point de presse, mercredi, à La Haye, aux Pays-Bas, alors que le Sommet de l'OTAN prenait fin. lA PRESSE CANADIENNE/Sean Kilpatrick (Sean Kilpatrick | La Presse canadienne)

Le Sénat a adopté jeudi le projet de loi C-5 visant à accélérer la réalisation de grands projets jugés d'intérêt national, comme des oléoducs et des mines. 

La pièce législative s'attire une foule de critiques en raison des pouvoirs étendus qu'elle accorde au cabinet. De nombreuses voix se sont aussi élevées pour dénoncer la hâte avec laquelle le projet de loi a dû être étudié puisqu'il a été adopté sous bâillon.

Les sénateurs n'avaient que jusqu'à vendredi pour se prononcer, échéancier précipité que plusieurs d'entre eux ont déploré.

Même si certains ont tout de même signalé qu'ils appuyaient le projet de loi, ils ont semblé le faire quelque peu à contre-cœur. Peu de temps avant de passer au vote, le sénateur Tony Ince a affirmé qu’il espérait ne pas regretter son appui à C-5.

Le vote ne s'est pas déroulé par appel nominal — un processus qui permet de voir comment chacun des sénateurs se prononce.

Le premier ministre Mark Carney a présenté ce projet de loi comme étant essentiel pour que le Canada puisse réduire sa dépendance envers les États-Unis, dans le contexte de la guerre tarifaire déclenchée par Washington.

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La proposition législative permet aux ministres fédéraux de désigner des projets comme étant d'intérêt national. En obtenant cette désignation, la réalisation pourra se faire sans que les initiatives n'aient à être conformes à de multiples lois, dont la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Les groupes environnementaux ont ainsi été aux premières loges de l'opposition à C-5, de même que des leaders autochtones.

Ces derniers craignent que le processus expéditif d'approbation de projets d'intérêt national ne permette pas aux peuples autochtones d'y consentir de façon éclairée.

Dans cette veine, l'Assemblée des Premières Nations demandait plusieurs amendements au projet de loi C-5, qui est finalement demeuré inchangé.

L'organisation souhaitait notamment que les «facteurs» facultatifs pour déterminer si un projet est jugé d'intérêt national ou non devraient devenir des critères obligatoirement respectés. Parmi ces «facteurs» se trouve celui de «promouvoir les intérêts des peuples autochtones». 

Le sénateur Paul Prosper, d'origine mi'kmaq, a proposé un amendement visant à garantir que les projets ne puissent être approuvés sans le consentement explicite, libre, préalable et éclairé des communautés concernées, mais il n'a pas été adopté.

«Nous sommes nommés pour être à l'abri des pressions du cycle électoral et pour pouvoir défendre nos principes contre les lois mal rédigées», a expliqué M. Prosper lors d'un discours au Sénat. 

«Je frémis quand j'entends des gens dire que nous devons renoncer aux amendements, de peur de retourner l'opinion publique contre nous», a ajouté M. Prosper en lisant des citations de dirigeants autochtones exprimant leur opposition à la loi.

Il a indiqué que le pays est en train de devenir rapidement un «pays d'extrêmes» et que la possibilité d'un discours social modéré a disparu.

«Lorsque j'ai dénoncé la précipitation de ce projet de loi et évoqué la nécessité de le modifier, voire d'en retarder l'adoption, le vitriol raciste et les menaces dont mon bureau a fait l'objet ont été si intenses que le personnel a demandé la permission de ne pas répondre aux appels téléphoniques inconnus, a ajouté M. Prosper. Ce n'est ni juste ni acceptable.»

Le projet de loi a été présenté à la Chambre haute mercredi, après son adoption accélérée à la Chambre des communes. Le Sénat l'a adopté jeudi, et il a reçu la sanction royale le même jour, devenant ainsi loi.

Le sénateur Leo Housakos, chef de l'opposition au Sénat, a déclaré que le Canada traversait une «crise existentielle» lors de son dernier discours avant l'adoption du projet de loi, faisant référence à la relation commerciale instable avec les États-Unis sous la présidence de Donald Trump.

«Ceux d'entre nous qui croient qu'il est nécessaire d'instaurer des équilibres environnementaux rigoureux dans ce pays devront mettre un peu d'eau dans leur vin. Ceux d'entre nous qui croient qu'il faut exploiter les ressources de ce pays à tout prix devront mettre un peu d'eau dans leur vin et trouver des compromis qui fonctionnent, mais qui, fondamentalement, créent de la richesse et de la prospérité», a expliqué M. Housakos.

«Quand les choses se compliquent, les Canadiens se mobilisent. Nous nous unissons, nous trouvons des solutions. Nous travaillons fort», a-t-il ajouté.

Atiya Jaffar, de 350 Canada, a affirmé dans un communiqué de presse que le projet de loi ne confère rien de plus qu'un «pouvoir illimité» au Cabinet pour accélérer des projets qui bafouent l'environnement, la démocratie et les droits des peuples autochtones sans consultation significative ni participation du public.

«Le Canada ne peut pas bâtir un avenir juste et durable en bafouant les fondements de la responsabilisation et du consentement des peuples autochtones. Nous demanderons des comptes au gouvernement à chaque étape du processus», a expliqué Atiya Jaffar.

L'analyste climat-énergie de Nature Québec, Anne-Céline Guyon, a qualifié l'adoption du projet de loi de «jour noir pour la démocratie et la protection de l'environnement au Canada». 

«Avec l’adoption de C-5 sous bâillon, le gouvernement canadien vient de s’arroger le droit de suspendre toutes les lois qui se dressent sur son chemin; celles protégeant les milieux naturels et les espèces menacées entre autres, a-t-elle expliqué. Absolument rien dans cette loi ne garantit que ces projets répondront à la crise climatique ou à celle de perte de la biodiversité.»

De son côté, l'organisme Équiterre a également exprimé ses «vives inquiétudes» face à l'adoption du projet de loi. 

«Quelques amendements ont permis de soustraire certaines lois, telles que le Code criminel, la Loi électorale ou la Loi sur les langues officielles, aux décisions unilatérales du pouvoir exécutif, a déclaré par voie de communiqué le directeur des relations gouvernementales chez Équiterre, Marc-André Viau.  Alors, pourquoi le Conseil des ministres s’arroge-t-il malgré tout le droit d’exterminer des espèces en péril ou de polluer la mer et les cours d’eau, comme le fleuve Saint-Laurent?»

Des groupes favorables au projet de loi

Bien que le projet de loi ait rencontré une vive opposition, d'autres groupes favorables au développement ont exprimé leur soutien à la rapidité de son adoption et au potentiel des projets qu'il peut engendrer.

Matthew Holmes, vice-président exécutif et chef des politiques publiques de la Chambre de commerce du Canada, a félicité les parlementaires dans un communiqué de presse pour l'adoption rapide du projet de loi.

M. Holmes a expliqué que le projet de loi avait le potentiel de relancer l'économie canadienne et de rationaliser le commerce intérieur afin de permettre la réalisation de grands projets.

«Parallèlement à cette avancée positive, nous rappelons au gouvernement qu’il doit veiller à ce que ces pouvoirs soient utilisés de manière responsable et dans le plein respect des droits des communautés autochtones et des normes environnementales, a-t-il dit. Les grands projets doivent être réalisés en partenariat et, lorsqu’ils sont menés habilement, ils font profiter les générations futures de bienfaits d’intérêt national.»

— Avec des informations d'Émilie Bergeron et d'Alessia Passafiume de La Presse Canadienne