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Le Québec fait ses adieux à Guy Rocher, le dernier pilier de la Révolution tranquille

Ce penseur né à Berthierville le 20 avril 1924 est décédé à l'âge de 101 ans le 3 septembre dernier.

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Le Québec fait ses adieux à Guy Rocher Le Québec fait ses adieux à Guy Rocher

Le Québec a reconnu jeudi le legs immense qu'a laissé Guy Rocher à la société québécoise lors des funérailles nationales de l'éminent sociologue, qui se tenaient à l'Université du Québec à Montréal (UQÀM). 

Né à Berthierville le 20 avril 1924, l’un des plus grands intellectuels et artisans de la Révolution tranquille est décédé à l'âge de 101 ans le 3 septembre dernier.

Le gouvernement québécois, avec l'accord de ses proches, a choisi d'organiser des funérailles nationales à celui qui est à l'origine de plusieurs changements majeurs dans l'histoire contemporaine du Québec.

Lors de son arrivée à la cérémonie qui se tenait en après-midi à la Salle Pierre-Mercure de l'université montréalaise, le premier ministre François Legault a d'ailleurs rappelé la «contribution immense» du sociologue au Québec.

Guy Rocher a notamment été l’un des membres de la célèbre commission Parent, qui a jeté les bases du système d'éducation moderne. Il y a joué un rôle important en défendant l’accès à l’éducation pour tous et en prônant la laïcité des établissements d’enseignement. 

Il a aussi été l’un des architectes de la loi 101 sur le français en tant que langue officielle du Québec, adoptée par le gouvernement de René Lévesque en 1977.

Un exemple encore aujourd'hui

François Legault a cité l'importance des écrits de ce bâtisseur, particulièrement ceux sur la place de la laïcité au Québec.

«Même moi et mon gouvernement, on utilise encore les écrits de Guy Rocher pour s'inspirer sur la place de la laïcité dans nos valeurs communes», a-t-il indiqué en mêlée de presse.

Pour le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon, Guy Rocher a incarné «l'émancipation du Québec».

«Son œuvre est colossale, très positive pour le Québec, mais c'est aussi une œuvre inachevée de son propre aveu», a-t-il mentionné peu avant la cérémonie nationale.

«Le Québec dans lequel on vit aujourd'hui, c'est le Québec qu'il a contribué à construire avec d'autres. (...) On lui doit tous quelque chose, moi je me sens héritière du legs de M. Guy Rocher», a affirmé de son côté la porte-parole de Québec solidaire, Ruba Ghazal.

Marwah Rizqy, qui représentait le Parti libéral du Québec, a avancé que «ses legs sont immenses et inestimables».

Lors de la cérémonie, les proches de M. Rocher sont montés sur scène, racontant des anecdotes familiales devant une salle comble.

L'une de ses filles, Anne-Marie Rocher, a expliqué que, pour lui, ses livres étaient ce qu'il «lègue à la nation québécoise».

Pour rendre hommage à son «travail de titan», ses filles, ses petites-filles et ses arrière-petits-enfants sont donc chacun allés poser l'un des ouvrages du sociologue sur un bureau sur scène, où se trouvait son urne. 

Plus tôt en journée, plusieurs dizaines de personnes s'étaient déjà déplacées à la chapelle ardente, dans l’Agora du pavillon Judith-Jasmin de l’UQÀM, université dont il est l'un des fondateurs.

Bon nombre de ses distinctions reçues au cours de sa carrière étaient visibles à proximité de son urne, au milieu de fleurs.

Le choix de ce lieu était d'ailleurs hautement symbolique, puisqu'il s'agit de l'ancienne église Saint-Jacques, qui est devenue laïque «comme lui-même l'est devenu dans les années 1960», a expliqué le recteur de l'UQÀM, Stéphane Pallage.

Pour le travailleur social et syndicaliste Gérald Larose, il s'agissait d'un «devoir» de venir saluer une dernière fois Guy Rocher, qu'il considère comme «le père du Québec moderne».

«C'est le révolutionnaire, mais aussi tranquille parce qu'il a toujours eu des propositions progressives. Et à 100 ans, il les avait encore», a-t-il témoigné.

La fierté d'enseigner

Parmi le public qui faisait la file en matinée, plusieurs dignitaires sont également venus offrir leurs condoléances aux proches de M. Rocher.

«On se rappelle à quel point cet homme-là était un grand bâtisseur du Québec moderne», a souligné en mêlée de presse la ministre de l'Éducation supérieure, Martine Biron.

«Il nous a appris que c'était important d'apprendre et ça nous a rendus plus forts, nous le peuple québécois, et je pense que cette œuvre-là doit être poursuivie», a-t-elle ajouté.

S’il faut retenir une chose de l’œuvre de Guy Rocher, c’est l’importance de la liberté académique, selon M. Pallage.

«Il faut toujours mettre la liberté de l'avant, la liberté de penser, la liberté de créer, la liberté d'enseigner, la liberté académique en fait, c'est une valeur essentielle dans une société démocratique», a-t-il mentionné, soulignant que cette liberté est «mise à mal dans bien des endroits aujourd’hui».

Pauline Marois, l'ancienne première ministre du Québec, s'est souvenue de lui avoir déjà demandé de quoi il était le plus fier dans tout ce qu'il a accompli.

«Il m'a dit c'est mes 50 ans d'enseignement parce que j'ai été un passeur, j'ai aidé des gens à devenir des citoyens responsables. Et ç'a été sa plus belle contribution au Québec», a raconté celle qui est maintenant chancelière de l'UQÀM.

Après avoir retracé le parcours de Guy Rocher, son biographe, Pierre Duchesne, a partagé une anecdote similaire lors de son discours à la cérémonie.

«(Devenir) professeur, c'est la grande joie de sa vie, c'est sa fierté, sa passion jusqu'à la fin», a-t-il soutenu.

«M. Rocher, en un siècle d'existence, vous avez beaucoup donné au Québec... Il en faudra d'autres comme vous. Cher Guy Rocher, merci», a conclu M. Duchesne, la voix tremblante d'émotion.

La cérémonie laïque s’est terminée avec l’interprétation d’une chanson à-propos, «Adieu monsieur le professeur», entonnée par la foule à l’unisson.

Ses trois filles toujours vivantes — Anne-Marie, Geneviève et Isabelle — se sont ensuite recueillies auprès de l’urne déposée au centre de la scène.

— Avec des informations de Sébastien Auger, à Montréal pour La Presse canadienne

Audrey Sanikopoulos

Audrey Sanikopoulos

Journaliste