L'intellectuel Guy Rocher, le «père de la sociologie québécoise», mais aussi l'un des auteurs de la «loi 101», est décédé à l'âge de 101 ans.
Guy Rocher est l'un des grands bâtisseurs du Québec moderne. Il a participé à la création du ministère de l'Éducation au début des années 1960 et à la rédaction de la Charte de la langue française, communément appelée la «loi 101», à la fin des années 1970.
Plus récemment, il a été un ardent défenseur de la laïcité de l'État, estimant qu'il s'agissait là d'une suite logique à la «Révolution tranquille».
Né à Berthierville le 20 avril 1924, Guy Rocher obtient une maîtrise en sociologie de l'Université Laval et un doctorat de l'Université Harvard, dont la thèse portait sur les relations entre l'Église et l'État en Nouvelle-France.
Au début de sa carrière de professeur, il est nommé membre de la Commission Parent par Paul Gérin-Lajoie, alors ministre dans le gouvernement libéral de Jean Lesage.
Le rapport qui en découlera propose une réforme majeure de l'éducation au Québec, qui s'inscrit dans la foulée des grands bouleversements de la Révolution tranquille. Il prône la démocratisation et la laïcisation de l'éducation au Québec.
«Si on se projette en arrière, dans les années 1960, la majorité francophone avait très peu accès à l’enseignement supérieur», a expliqué le recteur de l’UQAM, Stéphane Pallage, en entrevue mercredi avec La Presse Canadienne.
«Il a changé le visage de l’éducation supérieure en prônant une éducation publique, accessible au plus grand nombre, et au plus grand nombre de francophones. Ça, c’était absolument essentiel», a-t-il souligné.
Le gouvernement québécois met dès lors tout en œuvre pour que l'éducation ne soit plus considérée comme un luxe, mais comme un droit.
Il crée le ministère de l'Éducation, donne naissance aux cégeps — les collèges d'enseignement général et professionnel —, qui remplaceront l'instruction religieuse alors dispensée sous l'autorité de l'Église catholique et en offre l'accès gratuit.
La Commission Parent mènera aussi à la création du réseau des Universités du Québec et à la scolarisation obligatoire jusqu'à l'âge de 16 ans.
«Sans Guy Rocher, probablement que le Québec serait très différent aujourd’hui et l’UQAM ne serait pas née», a avancé M. Pallage, qui le considère comme le «père fondateur» de l'université montréalaise.
Intellectuel engagé, Guy Rocher est coauteur de la loi 101, une loi qu'il qualifiera de nationale.
«Elle est liée à l'identité québécoise, parce qu'elle en dit le cœur, la langue française», écrivait-il dans Le Devoir en 2017 à l'occasion du 40e anniversaire de l'adoption de la loi.
Il ajoutait alors que la loi avait été conçue pour assurer le statut du français.
«Les Québécois furent à la recherche de ce qu'ils étaient, de ce qu'ils sont» pendant la crise linguistique qu'a connue la province de 1967 à 1977, poursuivait-il.
Plus récemment, Guy Rocher se disait pessimiste quant à l'avenir du français au Québec, à la lumière de statistiques démontrant un recul. Il appelait alors à repenser la politique linguistique québécoise.
Au cours de sa longue et prolifique carrière, Guy Rocher a été directeur de l'École de service social de l'Université Laval, vice-doyen de la Faculté des sciences sociales de l'Université de Montréal, et chercheur associé au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal. Il a aussi occupé la fonction de secrétaire général associé au Conseil exécutif du gouvernement du Québec.
Son ouvrage intitulé «Introduction à la sociologie générale», publié à la fin des années 1960, a acquis une réputation mondiale et a été traduit en six langues.
Maintes fois décoré, il a notamment été admis à l'Ordre du Canada en 1971 et à l'Ordre national du Québec en 1991.
Son nom figure parmi ceux des personnalités du Petit Larousse: l'ouvrage de référence lui reconnaît «un rôle décisif en matière de politique linguistique, culturelle et scientifique» au Québec.
Une vague d'hommages
Le premier ministre François Legault a rappelé que le sociologue était «l'un des grands artisans de la Révolution tranquille».
«Intellectuel engagé, penseur rigoureux et ardent défenseur de la laïcité, Guy Rocher a accompagné et inspiré les débats publics pendant plus de six décennies. Son œuvre et sa voix continueront d’éclairer le Québec moderne», a-t-il réagi sur X.
Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, n'a pas non plus tardé à réagir à la nouvelle.
«Guy Rocher aura marqué l'histoire du Québec en façonnant grandement la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui, mais il était surtout un homme aimable, disponible et généreux de son temps», a-t-il écrit sur X.
«Jusqu'à la dernière minute, il n'a jamais cessé de redonner à la prochaine génération, il n'a jamais cessé de s'impliquer dans les grands débats qui façonnent le Québec», a-t-il ajouté, soulignant son «legs et son héritage immenses».
Le qualifiant de «visionnaire», le Bloc québécois a indiqué que M. Rocher «avait un grand rêve pour les Québécois: les aider à bâtir leur avenir en leur donnant accès aux études supérieures».
Le chef du parti, Yves-François Blanchet, a mentionné qu'il s'était entretenu avec M. Rocher la semaine dernière.
«Vous n’imaginez pas comment je respectais cet homme plus beau et grand que nature. (...) Je nous souhaite à tous de vivre à la hauteur de son héritage alors que le choix collectif de vivre dans un État laïque est au cœur de son héritage», a-t-il précisé dans son message sur X.
Pour la co-porte-parole de Québec solidaire, Ruba Ghazal, «aujourd'hui, le Québec perd un géant».
Le président de l'Université du Québec, Alexandre Cloutier, a souligné que le sociologue a été «l’un des grands bâtisseurs du Québec moderne» dans une publication sur Facebook.
«Intellectuel engagé, humaniste et homme d’État, il a joué un rôle central dans les transformations majeures de notre système d’éducation, notamment en contribuant à la création des polyvalentes, des cégeps et de l’Université du Québec», a-t-il mentionné.
Marie Montpetit, présidente-directrice générale de la Fédération des cégeps, a souligné que «Guy Rocher a été un bâtisseur et un visionnaire déterminant pour le Québec, qui pensait toujours au bien-être collectif avant tout. Il nous manquera profondément».


