Justice

Le procès pour agression sexuelle d'Abdulla Shaikh avait été reporté pendant plus de 6 ans

La victime de l'auteur présumé du triple meurtre au hasard de 2022 ne pourra jamais obtenir justice.

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Voyez le compte-rendu de Marie-Michelle Lauzon dans la vidéo liée à l'article. Voyez le compte-rendu de Marie-Michelle Lauzon dans la vidéo liée à l'article.

À l’enquête de la coroner sur les circonstances entourant le triple meurtre au hasard de 2022, on a appris mercredi qu’Abdulla Shaikh, auteur présumé du crime, a fait l’objet d’un procès pour agression sexuelle qui a été reporté pendant plus de six ans.

Ce témoignage de Me Brenda Toucado, procureure de la Couronne assignée à ce dossier qui avait évolué entre 2015 et 2022, a suscité de vives réactions de la part de la coroner en chef, Me Géhane Kamel.

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Me Kamel a mentionné que le système de justice «ne fait aucun sens» et a demandé tout haut à l’avocate combien de fois on pouvait reporter un procès, question sur laquelle Me Toucado n’a pas voulu se prononcer.

Certains reports du procès ont eu lieu parce que M. Shaikh a «fait défaut de se présenter au tribunal», selon ce qu’a indiqué Me Toucado à Noovo Info en marge de l’enquête.

Également, «cet individu a changé plusieurs fois d’avocat dans le cadre de son dossier», a rapporté l’avocate du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). «Nécessairement, ça a engendré des délais», tout comme ce fut le cas pour les hospitalisations de l’accusé.

Même la pandémie de COVID-19 aura provoqué des retards dans le traitement du dossier de Shaikh, dit Me Toucado.

Certains délais en justice sont normaux, mais ce cas a été «excessivement long», a déclaré l’avocate.

Le procès pour agression sexuelle de Shaikh devait avoir lieu en janvier 2023. Sa victime n’aura jamais justice car, depuis, Shaikh a été abattu par des policiers au bout d’une cavale meurtrière, dans laquelle il a tué deux personnes au hasard, en août 2022, pour ensuite se rendre en Ontario pour visiter le zoo de Toronto et Canada's Wonderland, avant de revenir au Québec commettre un autre meurtre.

La police a déclaré qu'en moins d'une heure à Montréal le 2 août, M. Shaikh a tué par balle André Lemieux, 64 ans, qui se trouvait à l'intérieur d'un abribus et Mohamed Belhaj, 48 ans, qui se rendait au travail à pied. Environ 24 heures plus tard, à Laval, il a tué Alex Lévis-Crevier, 22 ans, qui faisait de la planche à roulettes dans la rue.

André Lemieux était le père de l’ancien boxeur David Lemieux.

Le système de santé montré du doigt

L’un des témoins convoqués par la coroner, le Dr Alain Turcotte, directeur des services professionnels au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Laval, a vivement critiqué l’état actuel du système de son établissement.

«C’est inquiétant ce qui se passe à Laval, au cours des deux derniers mois, il y a des codes 33 tous les jours, donc un code pour ordonner aux médecins de libérer des lits», a-t-il souligné, ajoutant qu’un patient hospitalisé représentait un revenu pour les médecins.

Pour lui, la situation de la pénurie de main-d’œuvre dans le réseau de la santé et dans son réseau est critique.

«Je ne peux pas assurer la sécurité des usagers et de mon personnel présentement, je ne sais pas ce qu’ils font à Québec, mais j’ai besoin de gens maintenant, pas dans cinq ans. Ils ont un plan d’ici les cinq prochaines années, mais c’est urgent, maintenant. Il faudrait faire un grand "reset "!», a-t-il lancé.

Le Dr Turcotte a également soutenu que Laval figurait parmi les «derniers de classe» dans la province en ce qui a trait au nombre de psychiatres pour la population. «Nous devrions donc être environ 60 psychiatres pour couvrir adéquatement les besoins de la population lavalloise. Or nous ne sommes présentement que 18 psychiatres en poste», a-t-il déploré.

Mardi, une infirmière travaillant au sein de l’unité psychiatrique du CIUSSS de Laval avait aussi critiqué le manque de ressources dans son réseau.

Dans un témoignage, lors de l’enquête de la coroner sur les trois homicides au hasard, la dame avait qualifié l’unité de psychiatrie de la Cité-de-la-Santé de «lieu obsolète» et d’«environnement néfaste» compromettant la sécurité des usagers et du personnel.

L’infirmière a notamment montré du doigt l’unité psychiatrique complètement surchargée et le manque de personnel, si bien que des patients ne peuvent pas être traités à l’intérieur de l’unité psychiatrique. Les patients sont donc inscrits sur une liste virtuelle et retournent chez eux. Un maillon faible du système de santé, selon l’employée, qui croit qu’il faudrait construire un pavillon supplémentaire pour cette unité afin de recevoir davantage de patients.

Il aurait menacé des proposés

Shaikh, qui avait des antécédents de problèmes de santé mentale, n’avait pas de casier judiciaire malgré ses démêlés avec la justice. L’enquête publique de la coroner avait cependant également permis d’apprendre que Shaikh aurait menacé des préposés en psychiatrie lorsqu’il était hospitalisé.

Une infirmière qui a prodigué des soins à Shaikh trois mois avant les événements tragiques a dit n’avoir jamais remarqué de comportement inadéquat et ne s’est jamais sentie menacée par le patient. Par contre, un préposé aux bénéficiaires affirme avoir été victime de menaces de la part de Shaikh, qui visionnait des vidéos de décapitation associées au mouvement djihadiste dans sa chambre, où il était placé sous haute surveillance.

Il avait été hospitalisé à l'Institut Philippe-Pinel à plusieurs reprises, en plus de passer de longues périodes à l'unité des soins psychiatriques à l'Hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval. Au moment où il a commis ses crimes, il était en liberté depuis un an.

Avec des informations d’Émile Bérubé-Lupien, Émeric Montminy et Marie-Michelle Lauzon, Noovo Info, et de La Presse canadienne.