Économie

Le milieu de la construction s'inquiète de l'augmentation des coûts dus aux tarifs

De nombreux acteurs du secteur soutiennent que l'imprévisibilité persiste quant au coût et aux délais d'approvisionnement des matériaux dont ils ont besoin.

Publié

Des ouvriers travaillent sur le chantier d'une tour d'appartements en construction, à Delta, en Colombie-Britannique, le mercredi 2 juillet 2025. Des ouvriers travaillent sur le chantier d'une tour d'appartements en construction, à Delta, en Colombie-Britannique, le mercredi 2 juillet 2025. (Darryl Dyck/La Presse canadienne)

Alors qu'une tempête tarifaire déferlait depuis le sud de la frontière plus tôt cette année, de nombreuses industries canadiennes, comme celle de la construction résidentielle, craignaient ses répercussions potentielles.

Si les acteurs du milieu sont conscients de la nécessité d'accroître rapidement l'offre de logements pour réduire les impacts de la crise du logement au Canada, les tarifs généraux et les taxes plus ciblées sur les matériaux représentent désormais des obstacles supplémentaires à surmonter.

Cela inclut la nécessité potentielle de ralentir le rythme de construction, étant donné le chamboulement des chaînes d'approvisionnement et de la hausse du prix de matériaux importants.

Cette possibilité est déjà en train de se réaliser, selon Cheryl Shindruk, vice-présidente exécutive de Geranium Homes, un promoteur résidentiel du sud de l'Ontario.

«Il est difficile de déterminer précisément l'impact sur les coûts, mais nous pouvons certainement affirmer qu'il y a un impact sur la confiance des entreprises et (…) sur la disponibilité des matériaux au moment opportun.»

Environ six mois après le retour du président Donald Trump à la Maison-Blanche, de nombreux acteurs du secteur soutiennent que l'imprévisibilité persiste quant au coût et aux délais d'approvisionnement des matériaux dont ils ont besoin.

À VOIR ÉGALEMENT | Hausse des taux de la SCHL: des promoteurs immobiliers devront payer leur prime en double

Ces derniers ont également obligé Geranium à adapter rapidement les chaînes d'approvisionnement sur lesquelles elle s'appuie depuis longtemps.

Sauver les coûts

Mme Shindruk indique que l'entreprise s'approvisionne désormais de plus en plus en matériaux fabriqués au Canada, comme la brique et la pierre, et qu'elle double sa consommation de produits importés d'autres pays que les États-Unis. Cela inclut l'acier, qu'elle achète notamment en Corée du Sud, au Portugal et en Chine afin d'éviter les surtaxes imposées par les droits de douane de M. Trump.

L'entreprise a toutefois précisé que certains matériaux ne peuvent tout simplement pas être reproduits sur le marché national ou international. Par exemple, un composant des fenêtres en verre à couches utilisées par Geranium continue de provenir des États-Unis en raison de problèmes de brevets. L'entreprise a décidé d'assumer les coûts supplémentaires.

«Ce n'est pas comme si on pouvait appuyer sur un bouton pour que, soudainement, ces matériaux importants qui proviennent des États-Unis pouvaient désormais être produits au Canada, a affirmé Mme Shindruk. Lorsque ce n'est pas réaliste, les articles continuent de venir des États-Unis et nous payons les droits de douane.»

Parmi les produits les plus durement touchés par la guerre commerciale, Kevin Lee, directeur de l'Association canadienne des constructeurs d'habitations, nomme entre autres les électroménagers, les portes intérieures et la moquette.

Dans certains cas, les constructeurs ont cherché des solutions de remplacement à leurs matériaux habituels. Cela peut par exemple être de proposer un plancher en vinyle là où ils auraient généralement opté pour de la moquette, a-t-il expliqué.

D'autres font preuve de créativité en entreposant des matériaux pour éviter d'éventuelles pénuries.

«Ils profitent de la possibilité d'acquérir des matériaux pour plus tard, ce qui augmente les frais généraux, car ils doivent les conserver au lieu de se les procurer au moment opportun», a expliqué Mme Shindruk.

Face aux premières inquiétudes concernant les effets de la guerre commerciale, Altree Developments, installé dans le Grand Toronto, prévoyait une baisse de 3 % à 5 % de son budget global, selon son président, Zev Mandelbaum.

Ce chiffre a depuis diminué en raison de la disponibilité accrue de matériaux canadiens, a précisé M. Mandelbaum, ajoutant que les fluctuations des droits de douane – de la récente menace de taxes supplémentaires à l'espoir que les négociations en cours mèneront bientôt à un nouvel accord commercial – ont rendu toute planification impossible.

Il a rapporté que son entreprise avait subi un impact bien plus important sur ses revenus au cours des six derniers mois, l'incertitude économique ayant fait chuter la demande des acheteurs.

«C'est surtout la crainte de l'instabilité économique au Canada qui a freiné l'achat de maisons et dissuadé les gens d'investir, qu'il s'agisse de résidents canadiens ou d'étrangers souhaitant investir au pays, a-t-il expliqué. Cette aliénation a entraîné une baisse de nos ventes et, de ce fait, une pression encore plus forte sur les coûts de construction.»

Important ralentissement économique

Dans ses prévisions annuelles sur le marché du logement, publiées en février, la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) prévoyait qu'une guerre commerciale entre le Canada et les États-Unis, combinée à d'autres facteurs, comme la réduction des cibles d'immigration, ralentirait probablement l'économie et limiterait l'activité immobilière.

L'organisme national chargé de l'habitation avait également indiqué que le Canada s'attendait à un ralentissement des mises en chantier au cours des trois prochaines années —  même si elles demeurent supérieures à la moyenne décennale —  en raison de la baisse de la construction de copropriétés, de la baisse de l'intérêt des investisseurs et de la baisse de la demande des jeunes familles.

En juin, le cumul annuel des mises en chantier s'élevait à 114 411 dans les régions de 10 000 habitants ou plus, en hausse de 4 % par rapport au premier semestre de 2024.

Malgré cette hausse des nouvelles constructions, une analyse régionale montre que les provinces dont les secteurs d'activité sont plus exposés aux droits de douane connaissent un ralentissement, a rapporté Mathieu Laberge, économiste en chef à la SCHL. Il a noté que les mises en chantier en Ontario ont chuté d'environ 26 % depuis le début de l'année, tandis qu'en Colombie-Britannique, la baisse était de 8 %.

En Ontario, cinq des dix villes les plus touchées par les droits de douane ont également enregistré une augmentation des arriérés de paiement hypothécaire au printemps. M. Laberge a déclaré que la guerre commerciale ou des facteurs macroéconomiques connexes ont probablement entraîné des licenciements dans ces régions, empêchant les gens de payer leur prêt hypothécaire.

Il a dit s'attendre à ce que cela se traduise éventuellement par une baisse du nombre de maisons construites.

«C'est un phénomène lent à se propager, mais il est réel. Nous le constatons, même si ce n'est peut-être pas encore dans les mises en chantier ou les reventes», a soutenu M. Laberge.

M. Lee a affirmé que le secteur en ressent déjà les effets.

«Le gros problème actuellement, c'est que nous n'obtenons tout simplement pas le type de mises en chantier dont nous avons besoin, et le secteur est très préoccupé désormais», a-t-il ajouté.

Avant l'instauration des droits de douane, certaines régions, comme le Canada atlantique et les Prairies, avaient commencé à voir les mises en chantier rebondir après une accalmie nationale alimentée par des taux d'intérêt auparavant élevés. D'autres provinces, comme l'Ontario et la Colombie-Britannique — où les maisons demeurent les plus chères — n'avaient pas encore atteint des niveaux similaires de construction neuve.

«Ce qui s'est passé c'est que la guerre commerciale a aggravé la situation en Ontario et en Colombie-Britannique, et nous constatons un léger ralentissement au Canada atlantique et dans les Prairies, a expliqué M. Lee. Il y a donc un effet modérateur partout.»

Le sondage mené par l'Association canadienne des constructeurs d'habitations auprès de ses membres au deuxième trimestre a révélé que 87 % des constructeurs se disaient préoccupés par la santé de leur entreprise au cours des 12 prochains mois.

Environ 35 % ont déclaré avoir récemment dû licencier des travailleurs et ne pas avoir l'intention de les réembaucher, contre 21 % il y a un an.

«La situation devient très grave, a soutenu M. Lee. Il y a surtout beaucoup d'inquiétude sur le marché.»

Sammy Hudes

Sammy Hudes

Journaliste