En déambulant dans le nouveau magasin Simons la veille de son ouverture jeudi, Bernard Leblanc affichait une confiance tranquille malgré l’agitation qui l’entourait.
Sur presque chaque recoin du magasin phare du centre commercial Yorkdale à Toronto, le personnel s’activait à déballer et à défroisser les dernières marchandises, à aspirer les tapis et à habiller les mannequins.
Ces tâches apparemment insignifiantes dissimulaient l’ampleur de ce à quoi ils se préparaient tous: l’entrée de Simons sur le vénérable marché torontois.
Cet exploit s’est fait attendre. La Maison Simons a 185 ans, mais son expansion hors du Québec, sa province d’origine, a été si méthodique qu’elle ne comptait jusqu’à présent que 17 magasins. Alors qu’elle rêvait depuis longtemps de s’installer à Toronto, elle a fait un détour par Halifax, Vancouver et même à Mississauga avant de s’implanter au cœur de l’Ontario, jeudi.
Bernard Leblanc, président et chef de la direction de Simons, voit cette entrée comme un «nouveau chapitre» pour l’entreprise et la preuve que «c’est en progressant lentement que l’on gagne la course».
«En fin de compte, nous avons des propriétaires qui ne pensent pas en trimestres. Nous pensons en générations», soutient-il à propos de la famille Simons.
Ils ont fondé l’entreprise à Québec en 1840, alors qu’elle offrait des marchandises sèches, et ont cadré son évolution jusqu’à devenir un grand magasin prisé des inconditionnels de la mode.
M. Leblanc est le premier non-membre de la famille à occuper le poste de direction de l’entreprise, et l’expansion torontoise revêt donc une importance capitale.
Le détaillant investira un total de 75 millions $ dans le magasin de Yorkdale et un autre qui suivra au Centre Eaton cet automne. M. Leblanc s’attend à ce qu’ils augmentent le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise de 15 %, pour atteindre 650 millions $.
Les spectres de La Baie et Nordstrom
À certains égards, cette étape importante arrive à point nommé. Les huit derniers mois ont été marqués par la chute du principal concurrent de Simons, La Baie d’Hudson, un grand magasin vieux de 355 ans, et par une hausse du soutien des consommateurs aux produits canadiens dans le contexte du conflit commercial. Les marques maison de Simons, dont Twik, Icône, Contemporaine et Le 31, représentent en moyenne 70 % de la marchandise de ses magasins.
Si M. Leblanc est ravi de constater l’effet de ce patriotisme sur les clients, il ne se réjouit pas de l’effondrement de son rival, qui s’est placé sous la protection de ses créanciers en mars, sous le poids de ses dettes croissantes.
«Je suis attristé par le départ d’une icône canadienne aussi historique, indique-t-il à propos de La Baie d’Hudson. En tant que détaillant, nous apprécions un secteur de la vente au détail dynamique et en pleine effervescence, et le départ d’un acteur est toujours un choc pour le secteur.»
Cela a également rappelé à Simons que l’entreprise doit constamment se réinventer, car «l’histoire et le patrimoine ne sont pas une garantie de succès», ajoute-t-il.
Simons ne s’est pas publiquement présenté comme soumissionnaire pour les baux ou la propriété intellectuelle de La Baie.
L’entreprise n’a pas non plus «recherché activement des marques précises qui nous manquaient en raison du départ de différents acteurs du secteur», affirme M. Leblanc.
«Nous explorons le marché mondial à la recherche de nouvelles marques émergentes et découvrons des marques que le public ne connaît peut-être pas, ajoute-t-il. C’est davantage notre objectif, plutôt que d’agir de manière opportuniste, de récupérer quelque chose qu’un autre a laissé derrière lui.»
Mais c’est quelque chose qu’un autre a laissé derrière lui qui a contribué à concrétiser les ambitions de son entreprise à Toronto.
Simons n’a pu s’installer à Yorkdale et au Centre Eaton que parce que le grand magasin américain Nordstrom a quitté le Canada en 2023, affirmant qu’il était trop difficile de réaliser des profits sur le marché.
Les vastes propriétés que Nordstrom détenait dans certaines des principales destinations commerciales de Toronto offraient l’occasion que Simons recherchait depuis longtemps.
«Nous étions en discussion avec Yorkdale depuis un certain temps, indique M. Leblanc. Nous étions ici il y a de nombreuses années pour voir ce que nous pouvions créer.»
Une place à l'art
D’une superficie de 118 000 pieds carrés, le nouveau magasin de Yorkdale, sur deux étages, sera le plus grand espace du portefeuille Simons en Ontario. Il propose bon nombre des marques que les acheteurs ont l’habitude de trouver sur d’autres marchés, comme Herschel, JW Anderson et Lacoste.
Une particularité de ce magasin: une immense fresque géométrique au plafond, intitulée «Ciel», de l’artiste français Nelio, confère au magasin une atmosphère fraîche et aérée. Une «promenade de cadres», composée de 40 œuvres de 24 artistes, est une autre raison de s’attarder dans les nombreux recoins du magasin.
M. Leblanc parie que la marchandise et l’ambiance du magasin fidéliseront les clients et offriront à son entreprise de précieuses leçons pour poursuivre sa croissance future.
Il cite Toronto et Vancouver comme des marchés susceptibles d’accueillir davantage de magasins Simons.
«Je suis vraiment ravi de faire de ces deux magasins un succès, à commencer par Yorkdale, conclut-il. Nous verrons ensuite où cela nous mènera.»

