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Pourra-t-on un jour considérer certains cancers comme des maladies chroniques?
Pourra-t-on un jour considérer certains cancers comme des maladies chroniques? Les travaux du docteur en biochimie Jean-François Côté et de son équipe de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) font rêver à cette hypothèse alors que l’on s’approche de plus en plus d’une solution pour combattre ou même prévenir les métastases.
Si la médecine moderne parvient à contrôler assez bien les tumeurs cancéreuses primaires, le mystère persiste autour de la manière de traiter les métastases. Grâce aux recherches de M. Côté et de son équipe, le brouillard se dissipe peu à peu et l’on comprend mieux la mécanique qui permet à certaines cellules de la tumeur cancéreuse de s’échapper dans le système pour aller développer des tumeurs secondaires dans d’autres régions du corps.
Ces découvertes ont valu à Jean-François Côté d’être désigné Grand scientifique 2023 par la Fondation du cancer du sein du Québec. En entrevue à La Presse Canadienne, le président et directeur scientifique de l’IRCM s’est dit vraiment fier et surtout vraiment chanceux d’avoir pu compter sur des équipes motivées et engagées.
«C'est vraiment à eux que revient le prix, insiste-t-il. Je me sens toujours un peu mal à l'aise de recevoir des prix, mais je suis content que nos travaux aient été reconnus et qu'on reconnaisse l'importance des découvertes fondamentales.»
Détenteur d’un doctorat en biochimie de l’Université McGill, Jean-François Côté a ensuite poursuivi sa quête de savoir sur le cancer aux États-Unis en passant quatre années à l'Institut de recherche médicale Sanford-Burnham situé en périphérie de San Diego. À son retour à Montréal, il profite d’un certain élan dans la recherche scientifique sur le cancer du sein pour se joindre au mouvement et démarrer ses propres travaux.
«On a identifié plusieurs protéines clés pour contrôler la migration et l'invasion (cellulaires)», mentionne-t-il. L’invasion cellulaire se produit lorsque des cellules tumorales ayant migré parviennent à dégrader l’environnement qui les entoure pour traverser des tissus complexes.
Son équipe se concentre sur les deux types de cancers les plus agressifs, le HER2 et le triple négatif. De belles avancées ont été réalisées, explique M. Côté, notamment lorsqu’ils ont pu démontrer sur des modèles animaux qu'une fois qu'on attaque les protéines identifiées dans l'organisme, on prévient la formation des métastases.
Actuellement, si une femme reçoit un diagnostic de cancer du sein, on peut traiter la tumeur d’origine. Toutefois, si des cellules ont déjà migré ailleurs dans son organisme, elles peuvent entrer en dormance pendant une très longue période allant jusqu’à 15 ou 20 ans.
«Celles qui vont parvenir à se loger dans des organes secondaires ne reconnaissent pas l'environnement où elles se trouvent. Elles vont s'endormir pour se réveiller seulement au moment où les conditions sont propices à former une métastase», développe l’expert qui est aussi professeur à la faculté de médecine de l’Université de Montréal.
En ce moment, Jean-François Côté et son équipe s’intéressent à la protéine AXL. Chez les patientes atteintes d’un cancer du sein de type HER-2 positif, celles qui expriment le plus cette protéine sont celles qui tendent à développer des métastases.
«Ça nous donne une sorte de biomarqueur pour savoir que c'est probablement ces patientes-là qui bénéficieraient le plus d'un médicament contre AXL pour prévenir les métastases», résume le chercheur en espérant un jour que ce biomarqueur fasse partie de la palette d’analyse fournie aux médecins après une biopsie.
Par ailleurs, cette protéine AXL aurait aussi été observée chez des cancers du rein ou du poumon et elle serait toujours associée au développement de métastases. Pour le chercheur, la prochaine étape sera de trouver un moyen d’éliminer les cellules en dormance.
Ce que vise à accomplir le «Grand scientifique 2023», c’est de comprendre toute la cascade métastatique dans le cancer du sein afin de pouvoir à la fois bloquer les événements précoces et prévenir les événements tardifs. Une fois cela accompli, il estime que la médecine bénéficiera d’assez d’outils pour stopper le développement de métastases.
Le docteur en biochimie ne prétend pas qu’on va guérir le cancer du sein en créant un médicament contre la protéine AXL. À son avis, les médicaments de première ligne vont demeurer les mêmes qui sont déjà prescrits. Ceux-ci permettent d’agir contre l’oncogène à l’origine de la maladie.
«L'idée, c'est de venir combiner la thérapie standard avec la nouvelle thérapie métastatique pour essayer de combler les deux paliers, soit en maintenant la tumeur sous contrôle tout en venant l'attaquer», suggère-t-il.
Pour y arriver, il reste encore beaucoup de chemin à faire puisque la dormance des cellules tumorales est un volet négligé de la recherche sur le cancer, estime Jean-François Côté. Pourtant, ce sont ces petites cellules embusquées dans des organes secondaires qui représentent une réelle menace pour la survie du patient.
Lorsqu’on arrivera à contrôler les tumeurs secondaires, le cancer pourrait bien devenir une maladie chronique avec laquelle un patient pourrait écouler de longues années.