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Avertissement : Cette histoire contient des détails graphiques sur la violence conjugale.
Jenny ne se rappelle pas du nombre exact de fois où son ex-conjoint l'a battue, menacée ou traitée de salope, parce qu'il y en a eu trop pour les compter.
Pendant près de dix ans, il les a agressées physiquement et verbalement, elle et sa fille, dans leur maison familiale d'Akwesasne, un territoire mohawk situé à cheval sur le Québec, l'Ontario et l'État de New York. Au cours de ces années, Jenny s'est rendue plusieurs fois au tribunal pour dénoncer la violence conjugale dont elle était la victime, pensant que cela changerait son comportement, mais cela n'a pas été le cas.
Ce texte est la traduction d'un article de CTV News.
La dernière fois que son ex, Patrick, a comparu devant un juge au palais de justice de Valleyfield, au Québec, en février, elle pensait qu'il obtiendrait enfin ce qu'elle considérait comme une peine d'emprisonnement sévère après qu’il ait été inculpé à nouveau en 2021. Au lieu de cela, Jenny, une femme des Premières Nations dans la quarantaine, a déclaré avoir été déçue une fois de plus par le système judiciaire.
Son ex, âgé d'une cinquantaine d'années, a été condamné à 12 mois d'assignation à résidence et à trois ans de probation, ainsi qu'à plusieurs autres conditions, après avoir renoncé à son droit à un procès et qu’il ait plaidé coupable. Il a reconnu plusieurs chefs d'accusation pour des faits survenus entre 2009 et 2018, notamment pour avoir battu et étranglé sa conjointe, et pour avoir frappé sa fille alors qu'elle n'avait que cinq ans.
«Cela ne compense pas les neuf ans et demi pendant lesquels il nous a torturés», a asséné Jenny, en larmes, lors d'un entretien avec CTV News. «Il m'a donné l'impression d'être un otage dans notre maison, surtout en faisant subir cela à ces enfants.
(Jenny est un pseudonyme ; sa véritable identité est protégée par une interdiction de publication. CTV News ne publie pas non plus le vrai nom de son ex, car il pourrait permettre de l'identifier dans sa communauté).
Après que les gens ont mis en doute la violence qu’elle subissait, elle a commencé à sortir son téléphone cellulaire et à enregistrer.
Des actes de violence capturés sur vidéo ont été partagés avec CTV News, dont un où il la frappe alors qu'elle tient un bébé dans ses bras, la traite de «p*te» et lui dit «Tu veux enregistrer de la merde ?». Jenny et son enfant crient après qu'il l'a frappée.
«Mes sens ont toujours été exacerbés. J'avais toujours peur. Je ne savais jamais ce qui allait se passer, alors c'est ce que j'ai commencé à faire. C'était la seule façon pour moi de rassembler des preuves pour sortir et faire sortir mes enfants», a-t-elle confié dans l’entrevue.
Les vidéos ont été citées dans un exposé conjoint des faits déposé auprès du tribunal en février, qui détaille certains des abus troublants commis par le délinquant entre 2009 et 2018, date à laquelle la relation a pris fin. En 2012, il a poussé la fille de Jenny, âgée de sept ans, dans 17 escaliers alors qu'elle tentait de lui échapper. Elle était couverte d'ecchymoses. Un jour de janvier 2017, il a brandi une arme chargée devant elle et sa mère lors d'une dispute.
«Les deux victimes ont déclaré qu'elles étaient terrifiées parce qu'elles ne savaient pas s'il allait tirer sur elles ou sur lui-même», selon le document du tribunal.
Le 13 octobre 2017, alors que les enfants n'étaient pas à la maison, Patrick battait Jenny, qui avait «peur de se défendre, car elle pensait qu'il allait la tuer».
Lors d'une autre attaque violente et alcoolisée sur sa fille en 2013, il l'a poussée dans un couloir de la maison, puis «il a vidé un bol d'eau sur elle et l'a jetée à l'extérieur de la maison en fermant la porte à clé, en hiver. Elle a gelé dehors pendant environ cinq minutes avant de pouvoir entrer dans la maison avec une clé de rechange, et non pas parce que l'accusé l'a laissée entrer», indique l'exposé conjoint des faits.
Par la suite, elle s'est souvenue qu'il s'était mis en colère et l'avait frappée parce qu'elle l'avait dit à quelqu'un à l'école.
Les dossiers judiciaires montrent que Patrick a un long passé d'accusations de violence conjugale impliquant Jenny. CTV News a obtenu un enregistrement audio officiel de l'audience de détermination de la peine de février, au cours de laquelle l'avocat de la défense a expliqué au juge pourquoi l'assignation à résidence était une peine appropriée.
Il a soutenu que le délinquant avait suivi une thérapie pour ses problèmes d'alcool et de colère, qu'il avait cessé de boire et qu'il avait été évalué par un psychiatre après avoir plaidé coupable à des accusations de violence conjugale lors d'un procès en 2018. Dans cette affaire, il a purgé environ cinq mois de détention provisoire et, après avoir plaidé coupable, il a été condamné à une peine de 90 jours à purger les fins de semaine, 240 heures de travaux d'intérêt général et trois ans de probation.
L'avocat a également révélé que les accusations dans l'affaire 2021 avaient été portées devant la police d'Akwesasne en 2018, mais que, pour des raisons qui restent floues, il n'y avait pas eu de suivi.
«Les déclarations qu'elle fait aujourd'hui, elle les a faites en 2018. Nous ne savons pas pourquoi nous ne les avons pas reçues. Nous ne sommes pas en mesure de l'évaluer», a affirmé l'avocat au juge.
«Est-ce que ça vaut la peine d'aller le remettre en prison six ans après ça alors qu'on a la preuve de sa réhabilitation ? Nous ne le pensons pas.»
Le juge a également été informé du risque que l'affaire soit presque rejetée en raison de délais déraisonnables à la lumière de l'arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada.
Le tribunal a aussi été informé qu'un rapport Gladue - un rapport présentenciel qui décrit les circonstances uniques d'un délinquant autochtone et peut suggérer des alternatives à l'incarcération - avait été présenté à un juge dans l'affaire de 2018, mais qu'un nouveau rapport n'avait pas été établi. L'avocat a expliqué que le contenu du rapport avait permis à Patrick, un membre des Premières Nations, de bénéficier d'une peine moins lourde à l'époque. Le rapport Gladue, introduit pour la première fois au Canada après une décision de la Cour suprême en 1999, est un outil du Code pénal destiné à remédier à la surreprésentation de la population autochtone dans le système carcéral. Il permet aux juges de prendre en considération des facteurs tels que le système des pensionnats, la discrimination et les problèmes de santé mentale.
Après avoir plaidé coupable dans l'affaire 2021 à des accusations d'agression, de menaces, de harcèlement criminel et de possession d'une arme dans un but dangereux, le juge a accepté la demande conjointe de la Couronne et de la défense pour la peine d'assignation à résidence d'une durée d'un an. La Couronne et la défense ont toutes deux décliné une demande d’entrevue.
Les deux victimes sont mécontentes de la décision du juge et affirment que Patrick s'en est tiré avec une autre peine légère.
«Je sais pertinemment qu'il n'a pas été condamné à la peine qu'il méritait», a lâché la fille dans une entrevue.
Aujourd'hui en fin d'adolescence, elle a déclaré qu'elle suivait une thérapie depuis l'âge de sept ans afin de surmonter son enfance violente. L'exposé conjoint des faits indique qu'elle a commencé à être témoin de violences physiques à la maison à l'âge de quatre ans et qu'elle a toujours «vécu dans un climat de peur».
Elle avait environ 10 ou 11 ans lorsque Patrick a chargé un pistolet devant elle et a commencé à l'agiter avant de le mettre dans sa bouche. Il lui a demandé d'appuyer sur la détente. Elle lui a pris l'arme et l'a jetée à l'autre bout de la pièce.
«J'ai pensé qu'il allait se passer quelque chose. J'ai pensé qu'il l'aurait retourné contre n'importe qui. J'avais peur», a-t-elle raconté à CTV News.
Les années d'abus, dit-elle, ont des effets psychologiques persistants.
«Il était la seule figure paternelle que j'ai eue dans ma vie. Alors, penser qu'il était la seule personne qui était vraiment une figure paternelle pour moi pouvait me faire ça. Après cela, je n'ai plus jamais fait confiance à personne. Même si j'essaie, je ne peux pas», a-t-elle déploré.
Jenny a déclaré s'être réfugiée dans des centres d'hébergement d'urgence à cinq reprises en l'espace d'environ neuf ans. Son séjour le plus long a été d'environ trois mois, mais en l'absence d'options de logement à long terme, elle est souvent retournée chez son agresseur.
«La chose la plus effrayante est de partir. Qu'est-ce qu'on fait quand on part ? Il n'y a nulle part où aller, c'est une si petite communauté. Il sait où me trouver», dit-elle.
«Et puis, comme il y a une telle pénurie de logements dans les réserves, on n'obtient pas beaucoup d'aide dans ces refuges. On y retourne et on espère que ça va s'arranger, mais ce n'est pas le cas. La situation ne fait qu'empirer.»
Les tribunaux doivent prendre la violence conjugale plus au sérieux, selon une avocate
Claudine Thibaudeau, assistante sociale et superviseur clinique à SOS Violence Conjugale, explique qu'il faut énormément de courage pour dénoncer aux autorités la violence d'un partenaire intime et craint que des peines comme celle de Patrick ne découragent certaines femmes de s'adresser à la police.
«Si le résultat final est trop clément, les femmes pourraient se sentir plus en sécurité en ne portant pas plainte parce qu'elles ne pensent pas que les conséquences seront assez sévères», a-t-elle soutenu en entrevue.
S'exprimant de manière générale sur le problème, Mme Thibaudeau a déclaré que les tribunaux devaient prendre la violence entre partenaires intimes plus au sérieux.
«Tout comme la violence commise à l'encontre des enfants doit être prise très au sérieux, la violence commise dans notre maison et dans l'endroit où nous devrions être en sécurité doit être prise très au sérieux, elle aussi», a-t-elle insisté. «Mais c'est un long parcours, c'est un processus. Il y a beaucoup de travail en ce moment pour renforcer la confiance des victimes dans le système».
Après s'être rendue plusieurs fois au tribunal pour dénoncer son agresseur, Jenny dit avoir l'impression «qu'il n'y a pas vraiment de justice pour les victimes».
«Je veux dire que dans la province de Québec, qu'est-ce qu'on fait avec un système judiciaire comme celui-là ?»
«Vous essayez de vous enfuir, vous pouvez essayer de partir, vous pouvez essayer de le signaler, mais qu'est-ce qui va être fait à ce sujet ?»
Les victimes de violences conjugales peuvent contacter SOS violence conjugale au 1-800-363-9010.