Fin de l’été 2023. Des groupes contre l’enseignement du concept d’identité de genre à l’école et de pro-LGBTQ+ s’affrontaient dans des rassemblements hostiles. Printemps 2025, le gouvernement Legault dévoile enfin les recommandations de son fameux «Comité de sages» censé fixer la position du Québec quant à l’identité de genre.
Le rapport contient des centaines de pages et couvre cinq grands axes d’enjeux et d’avenues à explorer pour permettre à «la majorité de la population et les personnes issues de la diversité de genre» de «mieux vivre ensemble».
Et ce ne sont pas des recommandations, mais bien des «suggestions ouvertes», par dizaines. Voici des exemples en vrac.
- «Distinguer rigoureusement les notions de sexe et de genre» ;
- «Réduire la collecte et la diffusion des informations relatives au sexe (biologique) de celles relatives au genre (identité de genre)» ;
- Plusieurs mesures à prendre en soins d’affirmation de genre, comme garantir la compréhension du consentement «libre et éclairé» des soins par les ordres professionnels, entre autres en ce qui concerne les personnes mineures ;
- De nombreuses suggestions en ce qui concerne l’importance de maintenir le caractère obligatoire du cours d’éducation à la sexualité du primaire au secondaire à l’école…
C’est cet enjeu qui avait mis le feu aux poudres en 2023. Le groupe 1 Million March 4 Children avait organisé des manifestations pancanadiennes en 2023 pour dénoncer l’idéologie du genre dans les écoles. Elles ont eu lieu dans plusieurs villes canadiennes, dont Montréal.
En réponse, des contre-manifestations se sont organisées pour défendre le droit des personnes issues de la communauté LGBTQ+. La confrontation entre les deux camps a donné lieu à des échanges acrimonieux.
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La tension à l’origine du rapport du «Comité des sages»
Le gouvernement Legault, dans les semaines qui ont suivi les affrontements, a clairement pris position contre la haine dont font l’objet les personnes trans au Québec, qui se comptent par milliers.
Dans le camp de 1 Million March 4 Children, on pouvait voir des affiches aux slogans «Les parents savent le mieux» ou «Garder l'innocence des enfants».
«Les Québécois sont modérés et on n’a pas l’habitude de voir cette polarisation d’un côté comme de l’autre», avait dit le premier ministre François Legault en guise de réaction. Le même jour, Québec solidaire faisait adopter à l'unanimité une motion à l'Assemblée nationale qui «condamne les propos haineux et discriminatoires tenus envers les personnes de la communauté LGBTQI2S+ dans la sphère publique, notamment lors des récentes manifestations à Montréal».
M. Legault a refusé d’établir une vision ou une position globale dans le débat de l’identité de genre que son gouvernement, mais a pris certaines mesures isolées, comme refuser de transformer les salles de bain en toilettes mixtes dans les écoles du Québec. Il a aussi dit non à une commission parlementaire sur l’identité de genre.
Alors, des toilettes mixtes ou non à l’école?
Dans son rapport élaboré par la leader Suzanne Roy, ministre de la Famille, et ses collègues Diane Lavallée, le Dr Jean-Bernard Trudeau ainsi que le professeur en droit constitutionnel Patrick Taillon, le «Comité des sages» suggère au gouvernement Legault de quand même, dans les espaces publics, «diversifier l’offre de toilettes et de vestiaires» en privilégiant des «espaces universels à usage universels».
Il faut «prendre le temps d’expérimenter l’utilisation d’espaces mixtes à usage collectif par le biais de projets pilotes», peut-on lire dans le rapport. Mais dans les écoles, les espaces non mixtes devraient être maintenus.
Autrement, le sommaire du rapport du «Comité des sages» contient de nombreuses suggestion de «maintien» ou de «poursuite» des mesures et projets déjà existants.
Car le comité ne se risque pas à statuer fermement dans ce vaste dossier. Oui, «la polarisation des positions sur le sujet est préoccupante», a-t-on écrit dans un communiqué, mais «le savoir scientifique sur le sujet doit être validé et approfondi».
«Puisque le sujet est relativement nouveau et en constante évolution, la science n'est pas unanime sur plusieurs questions concernant l'identité de genre.»
Entretemps, les membres du «Comité des sages» veulent «apaiser les controverses». «Nous déposons ce rapport avec la ferme conviction que le gouvernement et ses diverses composantes ont entre les mains des suggestions porteuses pour y arriver», dit le professeur Patrik Taillon. «Nous avons préconisé une approche nuancée, qui fait état des différentes positions et réalités qui ont été portées à notre attention par les personnes rencontrées.»
«Un gouvernement de crosseurs»: des membres de la communauté LBGTQ+ maugréent
Le dévoilement du rapport ne s’est pas fait sans heurts, vendredi. Une heure avant le dévoilement, les préparatifs techniques ont été perturbés par un petit groupe transféministe. «Venez le dire dans notre face», pouvait-on lire sur un drap brandi par des manifestantes, au nom des femmes trans.
Le groupe dénonce un comité «fantoche», fait des membres qui seraient «une gang de transphobes». Les membres du groupe ont demandé d'avoir accès à la conférence de presse, mais on leur refuse, car elle est réservée aux journalistes.
«On est en train de se faire fourrer par un gouvernement de crosseurs qui se cache.»
Les trois membres ont quitté en scandant des slogans quand la police est arrivée. Voici ce qui pourrait expliquer cette frustration.
Le rapport devait être dévoilé à l’hiver 2025. Une saison plus tard, Mme Roy et ses collègues déposent une brique de plusieurs centaines de pages sur la table des autorités gouvernementales québécoises.
Ce document-fleuve avait pour but de brosser un portrait de la réalité québécoise, d’analyser leurs effets potentiels sur l'ensemble de la société québécoise, et de recenser les politiques publiques, les pratiques ainsi que les directives québécoises dans plusieurs secteurs tout en travaillant étroitement avec la communauté LBGTQ+.
Au sujet de ce dernier aspect, le gouvernement Legault avait mal commencé aux yeux de plusieurs. Le milieu LGBTQ+ avait déploré l’absence de consultations de Québec auprès du communautaire lors de l’élaboration du comité des sages.
«Ces personnes sont des expertes dans leur milieu, mais pas nécessairement des enjeux de la communauté LGBTQ+», avait commenté le directeur général de l’organisme ENSEMBLE pour le respect de la diversité, Rafaël Provost, dans un entretien avec Noovo Info lors du dévoilement des membres du comité en décembre 2023.
Aujourd’hui, la communauté LGBTQ+ peste encore: «le gouvernement n’a pas tenu la promesse qu’il nous avait faite de nous transmettre le rapport en amont de sa sortie», a dénoncé le Conseil québécois LGBT auprès de Noovo Info.
Par contre, le gouvernement Legault dit avoir tenu sa promesse de consulter la communauté dans l'élaboration du rapport du «Comité de sages». La démarche a mené Suzanne Roy et cie à consulter une centaine d'organisations et individus, pour un total de 220 personnes.
Pourtant, «on n’a eu aucun contact avec le ministère de la Famille ou le comité lors de l’élaboration ou la rédaction du rapport; ç’a été un processus très opaque», déplore Victoria F. Legault, directrice générale d’Aide aux Trans du Québec (TAQ).
Avec de l'information de Julien Denis et de Jean-François Poudrier pour Noovo Info, ainsi que de Thomas Laberge pour La Presse canadienne.
