Les ventes d’alcool sont en baisse cette année au Canada en raison de l’incertitude économique persistante et de l’effondrement des importations de bière, de vin et de spiritueux en provenance des États-Unis.
Alors que la guerre commerciale mondiale menée par le président américain Donald Trump se poursuit, les boycotts provinciaux des alcools américains commencent à se refléter dans les chiffres de vente, et ce, dans un contexte de troisième crise financière en cinq ans pour les consommateurs canadiens.
Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.
Les données disponibles montrent une baisse des ventes de toutes les catégories d'alcool cette année par rapport à la même période en 2024, avec une baisse de plus de 100 millions de dollars dans six provinces au cours du seul dernier trimestre.
«Les consommateurs se sentent très fragiles», a déclaré CJ Hélie, président de Bière Canada, une association professionnelle des brasseurs, lors d'une entrevue jeudi. «Les gens réduisent leurs dépenses discrétionnaires, et nous le constatons de manière très nette. Le marché est vraiment en berne.»
Les détaillants provinciaux ayant cessé d'acheter de l'alcool américain et retiré les bouteilles de leurs rayons au début de l'année, les données de Statistique Canada (StatCan) montrent qu'en avril, environ 3 millions de dollars de vin américain sont entrés dans le pays, soit une baisse de 94 % par rapport aux 54 millions de dollars enregistrés au cours du même mois en 2024.
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«Nous sommes profondément préoccupés par le fait que les droits de douane américains sur les spiritueux importés du Canada et du Mexique nuiront considérablement aux trois pays et entraîneront un cycle de droits de douane de rétorsion qui aura des répercussions négatives sur notre industrie commune», peut-on lire dans une déclaration commune des groupes industriels nord-américains du secteur des spiritueux à la veille de la guerre commerciale en février.
«Nos industries ont prospéré grâce à l'égalité des conditions de concurrence établie entre nos frontières.»
Si les importations de bière américaine ont connu une baisse moins prononcée, elles ne représentent toutefois qu'une part relativement faible du marché canadien.
«Dans certains cas, depuis des générations, certaines de ces marques américaines emblématiques sont fabriquées au Canada», a expliqué M. Hélie à CTVNews.ca.
«Vos Bud Lights, vos Michelobs, vos Pabsts... elles sont fabriquées au Canada, presque toutes à partir de céréales canadiennes, dans nos usines.»
Bière Canada a indiqué dans un communiqué publié en février que 88 % de la bière consommée dans tout le pays l'année dernière avait été fabriquée dans des brasseries canadiennes.
M. Hélie explique que dans le secteur de la bière, les effets de la guerre commerciale se font surtout sentir dans le processus de fabrication, où les droits de douane sur l'aluminium menacent de rendre beaucoup plus coûteuse la production des milliards de canettes remplies chaque année dans les usines.
«[Les brasseurs] ont vu cela venir ; ils ont stocké autant qu'ils ont pu», a-t-il soutenu. «Nous n'avons pas encore constaté de hausse des prix de la bière sur le marché. Mais si vous pensez à la fête du Travail, cette question n'est pas résolue... cela va être catastrophique pour de nombreux brasseurs.»
Par ailleurs, le Canada a toujours été le premier importateur mondial de vins américains, représentant environ un tiers du marché américain à l'exportation l'année dernière. Mais pour le mois d'avril 2025, les données compilées par l'American Association of Wine Economists montrent que ce chiffre est tombé à seulement 4 %, après la plus forte baisse des achats parmi les 15 principaux acheteurs américains.
À l'autre bout de la chaîne, les vins américains représentaient une bouteille sur cinq (20 %) achetées dans les magasins de la Liquor Control Board of Ontario (LCBO) au début de 2024, mais à la même période cette année, cette proportion était tombée à 15 %, faisant perdre aux États-Unis leur première place en termes de ventes à l'importation.
«Les entreprises vinicoles américaines pensaient qu'un droit de douane sur les produits importés, y compris le vin canadien, serait une aubaine, mais c'est l'inverse qui s'est produit», a déclaré Karl Storchmann, directeur exécutif de l'American Association of Wine Economists, dans une entrevue accordée à BNN Bloomberg la semaine dernière.
«Le Canada a tiré le tapis.»
Baisse des ventes partout au pays
Les premiers chiffres montrent une baisse des ventes d'alcool chez les détaillants provinciaux.
Les baisses enregistrées au cours des premiers mois de 2025 vont d'environ un dixième de point de pourcentage au Nouveau-Brunswick à 8 % à Terre-Neuve-et-Labrador.
Au Québec, la régie des alcools a attribué la récente tendance à la baisse des ventes, notamment une baisse de 90 millions de dollars au cours du dernier exercice financier dans les magasins gouvernementaux et spécialisés, à «des changements dans les habitudes d'achat des clients».
Les derniers chiffres proviennent du quatrième trimestre de l'exercice 2024-2025, qui varie selon les provinces, mais qui s'étend généralement de janvier à mars de cette année.
Parmi les six provinces pour lesquelles des données sont disponibles, la Nouvelle-Écosse est la seule à afficher une augmentation des ventes, même si la régie provinciale note que le volume total vendu est toujours en baisse de près de 2 % par rapport à l'année dernière et à l'année précédente.
Depuis mars, la province affirme avoir stocké pour environ 14 millions de dollars de produits américains au lieu de les vendre, et que les ventes de produits fabriqués en Nouvelle-Écosse ont augmenté de près de 14 % pendant cette période.
La Yukon Liquor Corporation a affirmé CTV News que les importations américaines représentaient 3,6 % des ventes nettes dans le territoire entre janvier et mai de cette année, contre 5,4 % pour l'ensemble de l'année 2024.
En Colombie-Britannique, où le premier ministre David Eby a décrit sa décision de mars de retirer les produits américains en réponse à « l'escalade des menaces provenant du sud de la frontière », les ventes nettes en gros d'alcool américain ont baissé de 3 % pour le whisky, de 23 % pour le vin et de près de 60 % pour la bière.
Par ailleurs, selon un communiqué envoyé par courriel par la Liquor Distribution Branch de la province, les mois d'avril et mai ont été marqués par « un intérêt et une demande accrus des clients pour les produits fabriqués au Canada ».
Si les alcools américains restent disponibles dans certaines circonstances et que les importations ont repris dans certaines régions du pays, un droit de douane de 25 % reste en vigueur sur le vin, les spiritueux et la bière entrant au Canada.
La guerre commerciale n'est pas le seul facteur à l'origine de la baisse des ventes d'alcool. Statistique Canada note que, par litre, celles-ci sont en baisse depuis des années, même avant le retour de Trump à la Maison Blanche.
Entre les exercices 2019-2020 et 2023-2024, les recettes provenant de la vente d'alcool n'ont augmenté que d'environ 2 % par an en moyenne, alors même que le prix par bouteille a augmenté, note l'agence.
En volume, les ventes ont chuté de 3,8 % l'année dernière, ce que Statistique Canada a qualifié dans un communiqué publié en mars de baisse «historique».
«Il s'agit de la plus forte baisse en volume jamais enregistrée depuis que Statistique Canada a commencé à suivre les ventes d'alcool en 1949», peut-on lire dans le communiqué.
Pour M. Hélie, les récentes baisses sont le signe que les consommateurs réagissent à des années de difficultés économiques, depuis la chute massive de la restauration hors domicile due aux restrictions liées à la COVID-19 jusqu'à la flambée inflationniste qui a suivi le retour des clients dans les restaurants, ce qu'il appelle le «choc des menus».
«Je vais passer de 80 $ à 95 $ (pour une soirée), mais ces 95 $ signifient que je dois également renoncer au dessert, au café ou à la bière supplémentaire», explique-t-il.
«Nous le constatons clairement dans les chiffres.»
- Avec des informations de Jordan Fleguel pour BNN Bloomberg.


