Trois vérificateurs de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) ont claqué la porte en 2024, déçus que le président-directeur général Éric Ducharme n'ait pas d'intérêt pour leur travail.
«C'était l'équivalent de me faire cracher dessus», a confié lundi l'ex-vérificatrice interne Marie-Line Lalonde lors de son témoignage devant la commission Gallant chargée de lever le voile sur le fiasco SAAQclic.
Mme Lalonde a expliqué que son département a dû attendre neuf mois avant d'obtenir une rencontre avec M. Ducharme, nommé en 2023 par le gouvernement Legault pour redresser la situation à la SAAQ.
Pendant ce temps, les vérificateurs internes continuaient de relever de nombreux problèmes liés à la nouvelle plateforme SAAQclic, par exemple concernant la perception de certains droits et taxes.
Or, lors de la rencontre tant attendue avec M. Ducharme, qui s'est tenue le 24 janvier 2024, le nouveau PDG était «assis dans sa chaise, les deux bras croisés», s'est entre autres remémorée Mme Lalonde.
«Il avait un langage non verbal tellement fermé. C'était hyper froid comme approche. Il ne nous regardait à peu près pas dans les yeux. Il ne répondait rien», a-t-elle affirmé.
«On lui demandait c'était quoi ses besoins et il n'avait pas de réponse. Pour moi, j'avais l'impression que c'était l'équivalent de me faire cracher dessus, de dire: "Je n'en veux pas de votre travail".»
«S'il avait pu se lever et s'en aller, il l'aurait fait. Il était vraiment mal à l'aise. Nous, on lui disait qu'on travaillait pour lui, qu'on était là pour l'aider. C'était notre dernier cri du cœur», a-t-elle poursuivi.
Éric Ducharme souhaitait que la vérification interne cesse de faire «des vagues». Mais en audit, «le but, ce n'est pas de s'entendre avec les secteurs», c'est d'être factuel, a soutenu la comptable de formation.
Les vérificateurs auraient d'ailleurs fait l'objet d'«intimidation». Des hauts dirigeants passaient plus de temps à «se défendre qu'à corriger les anomalies», a témoigné Mme Lalonde.
La vérification interne était «embourbée de documents de mauvaise qualité, (...) dirigée vers les mauvaises ressources» et priée de modifier ses constats et recommandations afin d'«amoindrir l'impact».
Les membres de l'équipe de Mme Lalonde sont sortis «vraiment déçus» de la rencontre avec Éric Ducharme, si bien qu'ils se sont dits que «ça ne changerait pas» et qu'il était temps pour eux de «mettre à jour leur cv».
Trois d'entre eux ont quitté la SAAQ «pratiquement la même journée» peu de temps après, dont Mme Lalonde. D'autres départs ont suivi.
«Ça ne correspond pas à mes valeurs de continuer à travailler pour quelqu'un qui ne veut pas de mon travail, a-t-elle affirmé à la commission. Je n'étais pas mobilisée pour continuer de ramer dans le vide.»
Rappelons que l'ex-vérificateur Vincent Poirier a témoigné le 29 mai dernier que M. Ducharme ne semblait pas vouloir d'un dossier étalant les faiblesses informatiques de SAAQclic.
«J'ai eu l'impression qu'il n'en voulait pas, de ce rapport-là. J'avais le sentiment que le dossier, il ne le voulait pas entre les mains», a-t-il raconté.
Le virage numérique raté de la SAAQ devrait coûter aux contribuables au moins 1,1 milliard $, selon les calculs du Vérificateur général du Québec.
Lors de son bilan de fin de session, le 6 juin, le premier ministre François Legault a refusé de réitérer sa confiance envers M. Ducharme, disant vouloir attendre le rapport de la commission Gallant.
Sa ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a également laissé entendre lors d'une entrevue à Radio-Canada diffusée le 5 juin que M. Ducharme était sur un siège éjectable.
Éric Ducharme a remplacé en 2023 Denis Marsolais, qui était également une nomination du gouvernement Legault. M. Marsolais a été limogé dans la foulée du déploiement catastrophique de SAAQclic.
Lundi après-midi, l'avocat représentant la SAAQ, Sébastien Laprise, a demandé à ce que M. Ducharme soit entendu le plus rapidement possible, préférablement dès mardi matin.
Selon lui, il faut absolument «préserver la confiance du public» dans ses institutions. Le commissaire Gallant a indiqué aux parties qu'il prenait la question en délibéré.

