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Espionnage et cryptomonnaie: l'histoire d'un ado canadien recruté par la Russie

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Si le pays n’agit pas sur ces niveaux, il risque de contribuer davantage à l'exode des cerveaux, selon les auteurs de l'étude. Archives (Graeme Roy | La Presse canadienne)

Un adolescent canadien se trouvait en Pologne lorsqu'il aurait été arrêté par les autorités pour espionnage. Cette affaire a révélé l’existence d’un réseau important de transactions en cryptomonnaies, a découvert l'agence de presse internationale Reuters.

Laken Pavan, qui a grandi à Parksville en Colombie-Britannique, s'était engagé dans les réservistes de l'armée canadienne en 2022 afin de suivre les pas de son père, qui a servi dans l'armée canadienne.

Lorsque la Russie a envahi l'Ukraine, Pavan n'aurait eu aucun intérêt, selon la mère. Ce n'est qu'à la fin 2023 qu'il aurait commencé à débattre sur les réseaux sociaux, se montrant plus favorable à la Russie et affichant sa déception après son expérience sein de l'armée canadienne. Il disait avoir reçu un visa pour la Russie en mars 2024, alors que sa mère n'aurait pas été au courant de son projet de voyage. «Je ne savais même pas qu'il était parti», avait-elle dit à Reuters.

Le 16 avril 2024, Pavan aurait pris un vol de Vancouver à Moscou via Istanbul et aurait engagé un chauffeur pour l'emmener à Donetsk. Sur place, il aurait rejoint un groupe de volontaires et aurait aidé à la reconstruction d'une école, étant donné qu'il ne pouvait pas rejoindre les rangs de l'armée russe étant d'âge mineur.

Selon l'avocat de la famille, John Kingman Phillips, les autorités canadiennes auraient dû être informées de son voyage en Russie et de l'en empêcher. Selon l'Agence des services frontaliers du Canada, les citoyens ont le droit de quitter le pays, mais que les personnes à haut risque peuvent être signalées. Affaires mondiales Canada affirme être au courant de l'arrestation et de la condamnation d'un citoyen en Pologne, mais a refusé de commenter davantage.

Wilmer Puello-Mota, un ancien aviateur américain qui s'est enfui en Russie après avoir été accusé de possession de matériel pédopornographique, a raconté à Reuters qu'il avait rencontré Laken Pavan à Donetsk et que tout le monde lui disait de rentrer à son pays d'origine.

Fin avril, le jeune homme aurait été arrêté à Donetsk et a été interrogé par des agents du FSB. Selon son témoignage aux autorités polonaises, il aurait été emmené par la suite à l'hôtel Central de Donetsk où il a été interrogé à plusieurs reprises par un groupe d'au moins six agents du FSB et un homme qui a déclaré appartenir aux services secrets russes. Quelques jours plus tard, on lui aurait donné des instructions, accompagnées de menaces de mort et de promesses. Ils lui auraient notamment promis de lui accorder la citoyenneté russe et un appartement dans la ville russe de son choix.

«Ce travail consistait à voyager à travers l'Europe et à prendre des photos. En Ukraine, en revanche, je devais m'enrôler dans l'armée ukrainienne; je devais recevoir des instructions détaillées à ce sujet plus tard, après mon arrivée en Ukraine.»
-Extrait du témoignage de Laken Pavan aux autorités polonaises obtenu par Reuters

L'adolescent ne parlait ni russe, ni ukrainien, ni polonais. 

Ils lui auraient présenté son responsable «Slon», dont le vrai nom est inconnu et qui semblait avoir une trentaine d'années. Les premiers échanges portaient sur la nourriture, puis ils se seraient rencontrés. 

Le 11 mai 2024, Laken Pavan aurait pris l'avion à Moscou pour se rendre à Copenhague via Istanbul. Selon son témoignage aux autorités polonaises, le jeune homme aurait reçu 2000$ avant de quitter Donetsk. Après son arrivée le 14 mai, il avait fait part à «Slon» de sa rencontre avec un entrepreneur américain et pour lui demander d'envoyer de l'argent.

«J'ai un gros problème, il n'y a pas de distributeurs de bitcoins au Danemark», avait écrit Pavan en anglais, ajoutant qu'il sera plus simple de convertir Ia cryptomonnaie en espèces en Pologne et que le coût de la vie y est moins cher. 

Peu de temps après, il aurait reçu plus de 500$ en bitcoins et se serait rendu à Varsovie, en Pologne. 

Le 23 mai 2024, Laken Pavan sous l'influence de l'alcool aurait demandé à son hôtel de contacter la police. C'est ainsi qu'il aurait avoué avoir travaillé avec le FSB et qu'il devait transmettre des informations sur l'armée polonaise à son responsable russe, selon les documents judiciaires rapportés par Reuters. Son dernier échange avec «Slon» remonterait à un jour plus tôt, alors que l'agent russe lui aurait demandé de refaire un passeport canadien et de contacter son père.

Selon les documents judiciaires polonais, il n'aurait jamais obtenu ou transmis des informations confidentielles à la Russie. Par ailleurs, l’adolescent et le responsable du FSB auraient échangé plus de 300 messages. 

Le Canadien a plaidé coupable des accusations d'aide aux services de renseignement russes et a été condamné en décembre 2024. Âgé de 18 ans, il purge actuellement une peine de 20 mois dans une prison polonaise située dans la banlieue de Radom, une ville située à 100 kilomètres au sud de la capitale.

Désormais, l'avocat de la famille se bat pour ramener l'adolescent au Canada pour qu'il purge sa peine. La famille de Pavan est «dévastée», selon Me Phillips à Reuters. Si Pavan ne bénéficie pas d'une libération anticipée, il devrait purger sa peine jusqu'en janvier 2026.

Ni le Kremlin ni le FSB n'ont répondu aux demandes de commentaires de Reuters concernant cette affaire, ni sur les tactiques de recrutement et l'utisation du bitcoin.  Les procureurs polonais chargés de l'affaire Pavan ont également refusé de répondre aux questions de Reuters sur cette affaire. Les demandes adressées au centre de détention polonais de Radom pour s'entretenir avec Pavan sont restées sans réponse.

Recruter des ados et utiliser la cryptomonnaie

Reuters rapporte une tendance à la hausse du recrutement d'adolescents et de novices par les Russes, alors que le conflit en Ukraine se poursuit. Selon les données rapportées par l'agence de presse, des dizaines d'adolescents en Ukraine et au moins 12 autres ailleurs en Europe ont été arrêtés en lien avec le sabotage et l'espionnage pour la Russie depuis le début du conflit en février 2022.

D'après un haut responsable de l'OTAN qui s'est confié à Reuters, les services de renseignement russes se sont tournés vers le recrutement de criminels de droit commun ou d'individus ayant peu d'expérience dans le domaine de l'espionnage. C'est ce qu'ont également constaté d'autres services de sécurité européens. Les jeunes sont principalement ciblés car ils souvent plus vulnérables et peu coûteux. 

Dans l'affaire de Pavan, l'agence de presse a réussi à retracer les paiements jusqu'à un important portefeuille de cryptomonnaies, sans toutefois pouvoir en identifier le gestionnaire. Ce portefeuille important aurait traité plus de 600 millions de dollars depuis sa création en juin 2022, selon l'analyse de Reuters. 

«Les transactions provenant de portefeuilles liés au FSB suivaient un schéma de blanchiment structuré, impliquant le fractionnement des fonds, leur mélange avec des sommes plus importantes et leur acheminement via des portefeuilles de dépôt non connectés», a écrit Global Ledger dans son rapport pour Reuters, soulignant les méthodes couramment utilisées pour dissimuler la source et l'utilisation des fonds.