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Pour le chef conservateur fédéral, Pierre Poilievre, le wokisme est une «idéologie bizarre [qui] veut tout effacer, sauf l'État, qui contrôlerait tout et tout le monde».
Abolir la fête des Mères, culpabiliser les nationalistes québécois, censurer les dissidents: le wokisme serait une idéologie totalitaire responsable des pires dérives de nos sociétés modernes, selon ses détracteurs. Mais que se cache-t-il vraiment derrière ce concept aux contours flous dont la popularité a explosé récemment?
«C'est un courant idéologique qui exacerbe les tensions entre la majorité et les minorités», a répondu le chef du Parti conservateur du Québec (PCQ), Éric Duhaime, lorsque questionné sur la définition du mot «woke».
Pour le chef conservateur fédéral, Pierre Poilievre, le wokisme est une «idéologie bizarre [qui] veut tout effacer, sauf l'État, qui contrôlerait tout et tout le monde». Le premier ministre Justin Trudeau aurait même «approuvé» cette idéologie lors du congrès de son parti, selon le chef conservateur dans un tweet.
Le wokisme serait aussi responsable de l'effacement de Terry Fox du passeport canadien, toujours selon M. Poilievre.
Ce flou entourant la définition du terme «woke» s’explique par le fait qu’il s’agit avant tout d'une insulte servant à s’attaquer au mouvement progressiste, soutient le professeur de science politique à l'Université du Québec à Montréal, Francis Dupuis-Déri.
«Comme il est fourre-tout, c'est très efficace. En général, le mot woke, c’est comme une arme d'attaque. [...] C'est comme un fusil à plusieurs canons. Vous tirez sur plusieurs ennemis à la fois», explique-t-il.
Selon lui, le terme permet d’amalgamer plusieurs mouvances de la gauche sous le même parapluie. «Ça inclut les féministes, les antiracistes et les progressistes en général. Parfois, on va intégrer aussi la jeunesse pour le climat», énumère le professeur qui est aussi auteur du livre «Panique à l’université: Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires», publié chez Lux Éditeur.
L’apparition du mot «woke» n’est pas claire, selon les experts consultés par La Presse Canadienne. «Des sources disent que dès les années 1960 on commençait à en voir des apparitions», explique la lexicographe et professeure en communication à l’Université de Sherbrooke, Nadine Vincent.
Le terme a beaucoup gagné en popularité autour de 2013-2014 dans la foulée du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis avec le slogan «Stay Woke». L’expression est alors un appel à rester éveillé aux inégalités, particulièrement raciales.
«Au début, c'était mélioratif ou neutre. On pouvait se dire woke», explique Mme Vincent. Elle note que son utilisation a explosé en 2020 au Québec et sa définition a évolué rapidement.
Une recherche intitulée «L’invention des Wokes par le nationalisme conservateur» a analysé les occurrences du terme entre septembre 2016 et septembre 2021 dans la presse écrite francophone au Québec.
L’utilisation du mot «woke» a été retracée dans 489 articles, dont 69 % proviennent du «Journal de Québec» et du «Journal de Montréal», deux quotidiens de Québecor.
«Ce groupe de presse est donc de loin l’entité qui a eu le plus de poids dans la couverture médiatique du phénomène ‘‘woke’’ au Québec», indique l’étude publiée en 2022 et produite par le professeur au département de sociologie du Cégep du Vieux Montréal, Raphaël Canet, avec l’un de ses étudiants, Léo Palardy.
Également, les cinq chroniqueurs ayant le plus écrit sur le sujet (Richard Martineau, Denise Bombardier, Mathieu Bock-Côté, Joseph Facal et Sophie Durocher) travaillent tous pour Québecor. Les auteurs de l’étude indiquent que 96 % de leurs articles «projettent une vision négative du wokisme».
L’étude cite notamment le sociologue Mathieu Bock-Côté qui définit le wokisme comme «une gauche haineuse, sectaire, intolérante [et] fanatique».
Il y a donc eu une inversion du sens et de la connotation du terme «woke» en peu de temps: de positif et employé par les mouvements progressistes, il est devenu une étiquette infamante brandie par leurs adversaires idéologiques.
La professeure Nadine Vincent note le phénomène inverse avec le mot «queer» qui servait initialement à insulter les gens issus des minorités sexuelles.
Il a ensuite été récupéré par le même mouvement pour désigner une identité de genre. Il est d’ailleurs représenté par le «Q» dans l'acronyme LGBTQ+. «Selon les mots, ça ne bouge pas toujours de la même façon», dit Mme Vincent.
On a même entendu le mot «woke» au Salon bleu en septembre 2021, lorsque le premier ministre québécois, François Legault, a collé cette étiquette au chef parlementaire de Québec solidaire (QS), Gabriel Nadeau-Dubois, en pleine période de questions.
«Pour moi, un woke, c’est quelqu’un qui veut nous faire sentir coupable de défendre la nation québécoise», a expliqué le premier ministre.
Pour la lexicographe, le mot «woke» a totalement perdu son sens en raison des différentes définitions, parfois contradictoires, qui lui ont été accolées.
«Chacun en fait son ennemi public numéro 1 et met ce qu'il veut dans cette case-là. [...] Ce n'est plus un mot qui est porteur de sens. C'est un mot qui met fin au débat», explique-t-elle.
La semaine dernière, deux écoles ont indiqué vouloir remplacer la fête des Mères par la fête des Parents.
Les écoles ont finalement fait marche arrière dans la foulée de la controverse provoquée par ces messages qui ont été largement relayés sur les réseaux sociaux, notamment par Éric Duhaime. «Le wokisme qui envahit les écoles québécoises», a-t-il écrit sur Facebook.
Selon la professeure en étude littéraire et culturelle à l'Université de Sherbrooke Isabelle Boisclair, le terme «woke» peut servir à faire de la «désinformation» en citant justement cette histoire.
«Une école n'aurait pas le pouvoir d'abolir la fête des Mères. C'est donc malhonnête de laisser entendre cela et de le relayer quand on a le moindrement de l'audience comme c'est le cas de M. Duhaime», dit-elle.
Selon Mme Boisclair, il y a une exagération quand on parle des revendications des wokes. «Il y a une démesure dans l’usage et le maniement du mot ‘‘woke’’. [...] Les wokes veulent juste plus de justice sociale. Qui est contre cela?»