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«Ils savent exactement ce qu'ils font», a déploré un professeur qui s'est confié à CTV News.
Des responsables canadiens sont critiqués pour avoir utilisé des fonctions de messagerie éphémère sur des applications comme Signal, que des experts souhaitent voir interdites à Ottawa. Une demande d'accès à l'information révèle que parmi eux figure le dirigeant principal de l'information du Canada, responsable de l’élaboration des règles gouvernementales sur l’utilisation des applications et la conservation des enregistrements numériques.
Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.
«La normalisation de l'utilisation des fonctions de messages éphémères sur ces applications contourne la législation sur la transparence», a déploré Matt Malone, chercheur sur le secret gouvernemental, à CTVNews.ca. «Elle sape l'objectif de la législation.»
M. Malone, professeur adjoint à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, a déposé une demande d'accès à l'information pour obtenir des captures d'écran des paramètres de Signal, WhatsApp et iMessage sur les appareils gouvernementaux utilisés par les deux plus hauts responsables du Bureau du dirigeant principal de l'information. Ces captures d'écran ont révélé que tous deux utilisaient des fonctions de messages éphémères, qui suppriment automatiquement les conversations après un temps défini pouvant aller de 30 secondes à quelques minutes, heures, jours ou semaines.
Mais les enregistrements électroniques concernant les affaires gouvernementales doivent être sauvegardés conformément à la Loi sur l'accès à l'information du Canada, explique Malone. Cette loi a été créée sur le principe que le public devrait pouvoir demander des informations au gouvernement, avec seulement des exceptions limitées et spécifiques comme la protection de la vie privée ou la sécurité nationale.
«À mon avis, c’est difficile de prétendre sérieusement respecter les lois sur la transparence et la reddition de comptes quand on détruit des messages texte. Le niveau d’hypocrisie est carrément démesuré.»
De hauts responsables de la sécurité américaine ont récemment été critiqués pour avoir utilisé Signal, une application de messagerie cryptée accessible au public, pour discuter d'attaques militaires sensibles au Yémen. Leur utilisation de Signal fait actuellement l'objet d'une enquête de l'inspecteur général du Pentagone.
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Selon le professeur, il y a plus de 300 000 téléphones intelligents fournis par le gouvernement en circulation au Canada. Ses recherches suggèrent que l’utilisation d’applications tierces de messagerie éphémère pourrait être répandue dans certaines sphères du gouvernement.
«Ils savent exactement ce qu'ils font», a soutenu M. Malone, qui est également directeur de la Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada de l'Université d'Ottawa. «Le gouvernement doit agir pour interdire ces canaux parallèles afin que nous puissions garantir la transparence et la responsabilité que les Canadiens méritent.»
Le Bureau du dirigeant principal de l'information du Canada fait partie du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT), un organisme chargé de superviser les finances et les opérations du gouvernement fédéral, y compris le système d'accès à l'information du Canada.
Selon les captures d’écran fournies à CTVNews.ca par Matt Malone, le dirigeant principal de l’information du Canada, Dominic Rochon, aurait configuré ses messages Signal et WhatsApp pour qu’ils disparaissent après une semaine, tandis que ses conversations sur iMessage seraient supprimées automatiquement après 30 jours. Son bras droit, le sous-ministre adjoint principal Mike MacDonald, utilisait uniquement iMessage, qui semblait lui aussi réglé pour effacer les messages après 30 jours.
M. Rochon a pris ses fonctions actuelles en février 2024 et possède une expérience en matière de sécurité nationale et de cybersécurité, notamment au sein du Centre de la sécurité des télécommunications Canada, l'agence de renseignement électronique du pays. Dans ses fonctions actuelles et passées, il a publiquement plaidé en faveur d'une amélioration de la transparence gouvernementale et d'un renforcement du système d'accès à l'information du Canada. Il a même co-écrit un article en 2021 qui affirmait que «le manque de transparence empêche les Canadiens de demander des comptes au gouvernement ; il augmente le risque d'abus ou de corruption de la part du gouvernement ; et il érode la confiance du public dans le gouvernement».
Le SCT et le Bureau du dirigeant principal de l'information ont refusé de répondre à des questions spécifiques sur l'utilisation par Rochon et MacDonald des fonctions de messages éphémères. Un porte-parole du CST a affirmé à CTVNews.ca que si les «documents éphémères» peuvent être éliminés, les fonctionnaires «doivent conserver tous les documents ayant une valeur commerciale», y compris les messages électroniques.
«Tous les documents gouvernementaux sous le contrôle du gouvernement sont soumis à la Loi sur l'accès à l'information, y compris les messages instantanés envoyés à l'aide d'applications tierces sur des appareils fournis par le gouvernement», a confirmé le porte-parole du SCT.
«Tous les fonctionnaires sont tenus de gérer efficacement les informations, tout en préservant le droit d'accès des Canadiens et en protégeant les informations personnelles et gouvernementales.»
Si les messages Signal et WhatsApp sont automatiquement supprimés, M. Malone affirme qu'il est impossible de savoir si ces applications sont utilisées pour des conversations personnelles ou pour des affaires gouvernementales.
«Je pense qu'il est raisonnable de supposer que tout ce qui est partagé, envoyé ou reçu sur un appareil fourni par le gouvernement est lié au gouvernement», a-t-il précisé. «C'est un appareil de travail. Ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle un "appareil de travail"».
Patricia McMahon, professeure adjointe à la faculté de droit de l'Université York, s'appuie sur le système d'accès à l'information du Canada pour ses recherches en histoire du droit.
«Il devrait y avoir des amendements, des règlements et des règles pour s'assurer que la technologie ne permette pas aux fonctionnaires de contourner la Loi sur l'accès à l'information», a-t-elle indiqué à CTVNews.ca. «Si la règle est que vous devez conserver tous les dossiers et tous les documents, et que toute la correspondance numérique constitue des dossiers, alors l'utilisation d'une application qui vous permet d'éliminer des informations doit être en violation de la Loi.»
Invoquant un «niveau inacceptable de risque pour la vie privée et la sécurité», le responsable des technologies de l'information a récemment interdit l'utilisation d'applications telles que TikTok, WeChat et Kaspersky sur les appareils du gouvernement. Les applications de messagerie cryptée telles que Signal et WhatsApp restent autorisées pour les informations non classifiées. Bien que le bureau encourage la bonne conservation des documents numériques, il n'a pas publié de règles ou de directives spécifiques concernant les fonctions de messages éphémères.
«Si vous avez un appareil fourni par le gouvernement, vous pouvez installer WhatsApp, Facebook Messenger, Signal, Confide ou n'importe laquelle de ces autres applications de messages éphémères sur votre téléphone», a souligné le professeur Matt Malone. «Vous pouvez le faire parce qu'elles ne sont spécifiquement pas interdites. Et l'unité responsable de leur interdiction est le Bureau du dirigeant principal de l'information du Canada.»
Ce dernier est également le fondateur d'Open By Default, une base de données numériques qui contient plus de 7,2 millions de pages de documents divulgués par le biais du système d'accès à l'information du Canada. Bien que les messages de Signal aient été divulgués par le biais de demandes d'accès à l'information aux États-Unis, à la connaissance de Malone, les messages de Signal n'ont jamais été inclus dans une divulgation d'accès à l'information au Canada.
«Si nous ne pouvons pas obtenir de documents, si nous ne pouvons pas réellement accéder à des documents à valeur commerciale qui montrent la prise de décision du gouvernement, comment sommes-nous censés tenir le gouvernement responsable?» a demandé M. Malone. «Comment les historiens sont-ils censés raconter comment les décisions ont été prises?»
La professeure Patricia McMahon estime qu’il y a peu de chances que le changement vienne de l’intérieur même d’Ottawa.
«Notre démocratie dépend de l'accès à l'information», a-t-elle lancé. «La démocratie fonctionne parce que nous savons ce qui se passe et que nous pouvons demander des comptes aux politiciens. Et dès que nous ne pouvons pas savoir ce qui se passe, dès que nous n'avons pas la possibilité de demander des comptes aux politiciens pour les décisions qu'ils ont prises, notre démocratie commence à s'effondrer.»