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«Elle donnait des informations aux [locataires] dans leur deuxième langue», ont-il notamment déploré.
Voici la deuxième partie de l'enquête de CTV News Montréal sur une influenceuse devenue investisseuse immobilière. Voyez la première partie ici.
Un couple montréalais a pris la parole contre leur ancienne propriétaire, Magali Cuvillier, l'accusant de profiter des locataires vulnérables après avoir fait la transition vers l'investissement immobilier.
Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.
Parce que Kendra et Sean craignaient que rendre public leur témoignage nuise à leur capacité de trouver un appartement à l'avenir, CTV News a accepté d'utiliser seulement leurs prénoms.
Bien que Kendra et Sean aient finalement réglé leur différend avec Mme Cuvillier sans avoir recours au Tribunal administratif du logement (TAL), Kendra a décrit le risque que courent les locataires lorsqu'ils choisissent de se tourner vers le TAL, car les décisions rendues pourraient les rendre peu attrayants pour les futurs propriétaires.
«Même si la décision du [TAL] est en votre faveur et que vous n'avez rien fait de mal, ils peuvent dire : "Ah, cette personne a causé des problème"’, et c’est un peu comme une liste noire», a déploré Kendra.
«Ça peut rendre très difficile de défendre ses droits si on sait qu'après, on risque de ne plus jamais trouver un appartement», a ajouté Sean.
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Kendra et Sean ont quitté London, en Ontario, en octobre 2022, et se sont installés dans un appartement au 4010, rue Évangéline, à Verdun.
En mai 2023, le couple et leurs voisins ont été informés que l'immeuble présentait d'importants problèmes structurels et que tout le monde devrait partir avant le mois d'août. Selon le courriel, les travaux devaient durer sept mois et les locataires pourraient revenir une fois qu'ils seraient terminés.
«Il y avait très peu de détails, et il n'était fait mention d'aucune forme d'indemnisation pour avoir dû quitter nos logements», a raconté Sean.
«C'était stressant», a ajouté Kendra. «Nous n'étions là que depuis moins d'un an. J'ai eu l'impression que c'était un peu notre accueil à Montréal: évincés pour rénovation après moins d'un an.»
Le couple affirme que Mme Cuvillier n'était pas transparente et qu'il était délibérément difficile de communiquer avec elle, ce qui a semé la confusion et la frustration chez les locataires.
«[Magali Cuvillier] donnait des informations aux [locataires] dans leur deuxième langue. Nous, on est anglophones… et elle nous parlait toujours en français, tandis que nos voisins francophones, qui ne parlaient pas bien anglais, elle ne leur parlait qu'en anglais.»
Inquiets pour la sécurité de l'immeuble, Kendra et Sean ont décidé de quitter immédiatement l'appartement et de trouver un nouveau logement. Ils ont signé un accord avec leur propriétaire pour résilier leur bail.
Alors qu'ils ont réussi à trouver un autre appartement dans leur fourchette de prix, d'autres locataires n'ont pas pu trouver de logement, souligne Sean.
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«Nous avons vu l'un de nos voisins porter ses affaires jusqu'au trottoir et il disait qu'il n'avait plus les moyens de se loger. "Je dois aller vivre sur le canapé de ma tante maintenant."» a-t-il raconté.
CTV News a contacté Mme Cuvillier pour connaître sa version des faits. Elle a décliné la demande d'entrevue, mais a fourni une série de déclarations, de documents et une chronologie des événements par l'intermédiaire de son avocat.
Mme Cuvillier affirme qu'elle a accompagné tous les locataires tout au long du processus et qu'elle a fait preuve d'une totale transparence sur les questions structurelles de l'immeuble, allant même jusqu'à fournir le rapport d'inspection technique sur demande. Elle affirme également que chaque locataire a reçu une compensation financière et que certains se sont même vu proposer un logement temporaire dans d'autres immeubles lui appartenant.
Le conflit avec Kendra et Sean n'était pas la première altercation de Mme Cuvillier avec des locataires du 4010, rue Évangeline. En 2022, une locataire a porté plainte contre l'entreprise de Magali Cuvillier devant le TAL. La femme payait un loyer de 866$ par mois. Le juge administratif a conclu que «par ses messages et ses actions délibérées, elle persiste à bafouer les droits de la locataire, le tout dans le but qu'elle finisse par quitter le logement».
Dans une déclaration envoyée par courriel à CTV News par l'intermédiaire de son avocat, Mme Cuvillier a reconnu les conclusions du juge concernant son comportement.
«Le jugement parle de lui-même. Il y avait un conflit de personnalité entre moi et cette locataire. J'ai tiré des leçons de la situation avec cette locataire. Si c'était à refaire, j'agirais différemment, mais je ne peux pas changer le passé», a-t-on écrit.
Lyn O'Donnell, organisatrice communautaire et intervenante au sein du Comité d'action des citoyens de Verdun (CACV), a décrit l'arrondissement Verdun comme un «paradis pour les spéculateurs» qui est devenu attrayant pour les investisseurs immobiliers cherchant à rénover des bâtiments anciens et à réaliser des bénéfices.
Selon Mme O'Donnell, Mme Cuvillier et les plaintes des locataires à son sujet sont bien connus du CACV.
«Quand j'entends son nom, je pense immédiatement aux nombreuses personnes qu'elle a affectées, y compris beaucoup de personnes âgées qui ont très peur et qui sont venues ici en désespoir de cause», a-t-elle dit.
Mme O'Donnell conserve un dossier lié à Magali Cuvillier et, selon ses archives, de nombreux locataires ont décidé de ne pas porter leur cas devant le TAL.
«Cela demande énormément de temps et d'énergie. Donc, même s'ils y parviennent et qu'ils gagnent, ces spéculateurs sont frappés de conséquences vraiment insignifiantes. Et je ne suis pas sûre qu'il y ait un montant réel qui puisse dissuader ce genre de comportement, car c'est juste le coût des affaires», a souligné Mme O'Donnell.
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Un courriel obtenu par CTV News montre que l'arrondissement de Verdun a été informé des problèmes au 4010, rue Évangéline en mai 2023. Le courriel indiquait que «la propriétaire, Magali Cuvillier, a tenté plusieurs tactiques d'expulsion».
Le courriel a été envoyé à Alexie Boivin-Claveau, l'une des agentes de liaison de l'arrondissement. Le 3 mai 2023, Alexie Boivin-Claveau a répondu à l'e-mail en écrivant : «Nous sommes sur le dossier du 4010 rue Évangeline. Merci pour cette information.»
Mais lorsque CTV News a demandé des détails sur les dossiers de l'arrondissement concernant l'immeuble, l'agente a affirmé qu'elle n'était pas au courant de problèmes avec la propriétaire ou son immeuble.
«Malheureusement, je n'ai pas connaissance de dossiers concernant Magali Cuvillier et ne peux donc vous fournir aucune information à ce sujet», a-t-on répondu par courriel.
CTV News a demandé des éclaircissements, en citant le courriel de mai 2023, mais sans succès.
Magali Cuvillier, une jeune femme de 33 ans originaire de Morin Heights, s'est fait connaître en ligne après s'être installée en Colombie, où elle a appris à parler couramment l'espagnol et a publié des vidéos de ses expériences d'immersion dans la culture colombienne.
En 2019, elle a été invitée à animer le festival Expo Latino de Calgary, considéré comme le plus grand festival latino-américain de l'Ouest canadien.
Dans le matériel promotionnel de l'événement, Mme Cuvillier était décrite comme une zinfluenceuse canadienne-française» et une «icône des médias sociaux dans la culture colombienne et dans le monde entier» qui «transmet toujours le bonheur et des ondes positives, élève les autres, ajoute un peu de saveur partout où elle va».
Sa présence en ligne plus récente s'articule autour de l'immobilier et du voyage. Mme Cuvillier partage un compte Instagram avec son petit ami et partenaire commercial, Edouard Martin, mettant en avant leur amour des motos et des voyages internationaux. Invitée sur un podcast immobilier en février 2024, Cuvillier s'est décrite comme une jeune femme entreprenante qui a trouvé la liberté financière grâce à l'investissement immobilier.
«En fin de compte, c'est pour ça que je fais de l'immobilier, parce que je veux faire des voyages en moto», a-t-elle déclaré au podcasteur.
Pour les locataires qui affirment que l'influenceuse a bouleversé leur vie en les forçant à quitter leur appartement, les messages publiés sur les réseaux sociaux sont une véritable insulte.
«C'est frustrant de voir quelqu'un créer ce style de vie d'influenceur glamour à partir de ce que je considère comme un business très prédateur», a lâché Kendra.