L'histoire de Normand Meunier, qui avait demandé l'aide médicale à mourir (AMM) après avoir développé de graves plaies de lit surinfectées à la suite d'un séjour à l'hôpital, avait suscité l'émoi de la population. Mardi, le Bureau du coroner a publié son rapport d'enquête publique.
M. Meunier, qui était tétraplégique, a demandé l'AMM à l'âge de 66 ans, deux mois après l'apparition d'une grave escarre qui s'est formée après avoir passé quatre jours sur une civière à l’urgence de l'hôpital de Saint-Jérôme.
Durant les audiences publiques le printemps dernier, sa conjointe, Sylvie Brosseau, a assuré avoir demandé à maintes reprises au personnel un matelas adapté à sa condition, ce qu'elle n'a pas eu avant que la condition de M. Meunier se dégrade au point où il a dû être transféré aux soins intensifs.
La demande d'aide médicale à mourir de Normand Meunier a été acceptée, et il est décédé le 29 mars 2024.
Le coroner Me Dave Kimpton parle d'«éléments troublants» pour décrire la prise en charge hospitalière. Entre autres, le matelas thérapeutique a été commandé le 26 janvier via l’application Go Medyk sans mention d’urgence. Sa livraison a donc été effectuée seulement le 29 janvier, date de la sortie d’hôpital de M. Meunier.
De plus, durant tout le séjour à l'hôpital, aucune sollicitation de l’infirmière conseillère en soins de plaies n'a été documentée, malgré une détérioration observée des plaies de lit sur le patient. «Cette absence d’implication d’expertise spécialisée constitue un élément marquant dans la trajectoire de soins», écrit Me Kimpton.
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Il souligne que les plaies, en particulier chez les personnes ayant subi une blessure médullaire, «devraient être évitées ou contenues dès le stade précoce, car leur développement peut entraîner des conséquences durables sur la santé et la qualité de vie».
«Les blessés médullaires présentent des facteurs de risque spécifiques liés à la perte de sensibilité, à l’immobilité prolongée et aux troubles de la circulation sanguine, ce qui favorise l’apparition des lésions cutanées», spécifie Me Kimpton.
Évaluation et surveillance inadéquates
Dans son rapport d'enquête, Me Dave Kimpton formule 31 recommandations, la majorité étant adressée à Santé Québec et au Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (CISSSL).
Le coroner recommande aussi à l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec de «sensibiliser (ses) membres sur les soins destinés aux usagers blessés médullaires» et de leur offrir «une formation de base et continue sur le sujet».
À Santé Québec, il lui demande d'implanter «les meilleures pratiques pour encadrer la prise en charge des usagers blessés médullaires dans tous les services d’urgence des établissements du réseau de la santé du Québec».
Il recommande aussi à la société d'État de veiller au déploiement d’un outil accessible dans tout le réseau de la santé, par exemple le Dossier santé numérique (DSN), pour permettre l’intégration d’un système d’alerte spécifique pour les usagers blessés médullaires.
Au CISSS des Laurentides, on demande qu'il garantisse l’accès dans un meilleur délai à une surface thérapeutique pour tout usager blessé médullaire dès son arrivée dans l’établissement, incluant l’urgence.
Le coroner Kimpton souligne que l'état de M. Meunier exigeait une surveillance spécialisée, des mesures préventives rigoureuses et un accès rapide aux surfaces thérapeutiques adaptées. Il conclut que les plaies de lit sont apparues ou se sont aggravées en milieu hospitalier. Cela l'amène à dire que l'évaluation du patient était incomplète, la documentation insuffisante, la mobilisation irrégulière, et que les délais pour obtenir le matériel essentiel et l'expertise en soins de plaies étaient trop longs.
Il y a aussi eu des enjeux dans le transfert d'informations qui ont contribué à la détérioration progressive de l'état de santé de M. Meunier. Le coroner pointe l’absence d’échelle de Braden et de document standardisé de suivi des plaies au dossier clinique. «Cette situation a certainement limité l’évaluation structurée du risque de développement de plaies de pression et a réduit la traçabilité des soins entre les différents intervenants et les changements d’équipe», écrit-il dans son rapport.
À la suite des témoignages des médecins impliqués dans la trajectoire de soins, Me Kimpton a pu relever des problèmes de communication. Il y avait une perception selon laquelle le suivi des plaies était assumé par les infirmières, puisqu'elles ont une formation spécialisée dans ce domaine. Les médecins s’attendaient à être informés d’une détérioration des plaies, «mais cette communication ne semble pas avoir été établie de manière optimale».
Le coroner souligne par ailleurs que des actions correctives ont été mises en place depuis le décès. Il estime toutefois que de nouvelles mesures sont essentielles afin d'éviter que d'autres patients vivent de telles trajectoires de soins.
Mme Brosseau, conjointe de M. Meunier, doit prendre part à une conférence de presse ce mercredi matin à Montréal, en compagnie de l'avocat Me Patrick Martin-Ménard et du directeur général de l'organisme Moelle épinière et motricité Québec, Walter Zelaya. Selon un communiqué, ils doivent annoncer le dépôt d'une demande d'action collective «pour éviter d'autres tragédies».

