Politique

Convoi de la liberté: des peines perçues comme de la «vengeance politique»

Tamara Lich et Chris Barber ont été reconnus coupables de méfait en avril pour leur rôle dans l'organisation de la manifestation.

Publié

91ff9553b7c0b11c0e5a1f79413c3e10e393acc252be53e669f60a2bcdabe29a.jpg Tamara Lich quitte le palais de justice d'Ottawa après le prononcé du verdict à l'issue de son procès avec Chris Barber, également organisateur du «convoi de la liberté», le jeudi 3 avril 2025. (Justin Tang | La Presse canadienne)

Plusieurs députés conservateurs critiquent la démarche de la Couronne à l'égard de deux organisateurs clés des manifestations du «convoi de la liberté», la cheffe adjointe du parti la qualifiant d'acte de «vengeance politique».

Tamara Lich et Chris Barber ont été reconnus coupables de méfait en avril pour leur rôle dans l'organisation de la manifestation, qui a bloqué les rues autour de la colline du Parlement pendant plus de trois semaines début 2022.

M. Barber a également été reconnu coupable d'avoir conseillé à d'autres personnes de désobéir à une ordonnance du tribunal.

Ils ont été déclarés non coupables de plusieurs chefs d'accusation, dont celui d'avoir conseillé à autrui de commettre un méfait.

L'audience de détermination de la peine des deux organisateurs doit avoir lieu mercredi à Ottawa.

Mme Lich a indiqué sur les médias sociaux que la Couronne réclamait une peine de sept ans pour elle et de huit ans pour M. Barber.

Elle a publié une capture d'écran d'une partie du mémoire de la Couronne au juge, dans lequel elle qualifiait leurs actions de «pire cas de méfait» et soutenait que le droit à l'expression politique n'a jamais existé sans limites. La Presse Canadienne n'a pas pu vérifier la capture d'écran de manière indépendante.

Soutien des conservateurs

Le chef conservateur Pierre Poilievre a publié un message sur X, lundi, remettant en question l'approche de la Couronne.

«Soyons clairs : alors que des délinquants violents et endémiques sont libérés quelques heures après leurs dernières accusations et que des émeutiers antisémites vandalisent des commerces, terrorisent des garderies et bloquent la circulation sans conséquences, la Couronne réclame sept ans de prison pour l'accusation de méfait contre Mme Lich et M. Barber, a-t-il soutenu. En quoi est-ce de la justice ?»

Dans sa propre publication sur les médias sociaux, la cheffe adjointe Melissa Lantsman a affirmé que, si «la Couronne veut soudainement appliquer la loi — une application égale de la loi serait un bon début — il s'agit de vengeance politique et non de justice véritable, et c'est pourquoi la confiance dans nos institutions s'effrite.»

Le député conservateur de l'Ontario, Andrew Lawton, a qualifié la fourchette de peines proposée d'«excessive et vindicative».

 

«La Couronne réclame une peine de sept ans (huit ans pour Chris) pour une manifestation pacifique de trois semaines il y a près de trois ans et demi. Tout cela alors que les délinquants violents se font taper sur les doigts», a mentionné M. Lawton.

Le député de la Saskatchewan, Jeremy Patzer, a décrit la peine proposée comme «(sept à huit) ans pour avoir tenu bon et avoir créé une urgence politique pour Justin Trudeau». Il l'a comparée à une affaire où un homme avait obtenu une absolution conditionnelle pour avoir tenté d'acheter des services sexuels à une personne qu'il croyait âgée de 15 ans.

«Les priorités des libéraux sont assez claires. Les conservateurs sont les seuls à proposer de modifier nos lois pour que les vrais criminels finissent derrière les barreaux», a soutenu M. Patzer.

Les conservateurs ont fait campagne sur un programme de répression de la criminalité lors des élections d'avril. Pierre Poilievre a promis «la prison plutôt que la libération sous caution» pour les récidivistes et s'est engagé à légiférer sur la prison à vie pour certaines infractions liées à la traite des personnes et aux drogues — des promesses qui, selon les experts constitutionnels, seraient presque certainement invalidées par les tribunaux.

Les publications de lundi sur les médias sociaux font suite à la dénonciation par plusieurs influenceurs et personnalités de droite de premier plan de M. Poilievre et de ses députés en raison de leur prétendu manque de soutien à Mme Lich et M. Barber.

Mme Lich et M. Barber ont été accueillis par des partisans enthousiastes à chacune de leurs comparutions devant le tribunal. La publication de Mme Lich a reçu des milliers de mentions «J'aime» et de commentaires lundi.

Une sortie jugée dangereuse

Michael Spratt, avocat de la défense établi à Ottawa, a qualifié la décision des députés de se prononcer sur la peine proposée de «politique lâche».

«Il est très dangereux pour les politiciens de se prononcer sur des questions devant les tribunaux», a-t-il soutenu.

Me Spratt a rappelé qu'il existe une convention de longue date selon laquelle les politiciens ne doivent pas imposer leurs opinions au système judiciaire canadien.

Mais il arrive que les politiciens franchissent cette ligne. En 2021, le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, avait déclaré qu'il était «incompréhensible» que le suspect dans une affaire d'homicide impliquant la mort d'un policier de Toronto ait été libéré sous caution.

L'accusé a été déclaré non coupable en 2024. Selon Me Spratt, les politiciens qui critiquaient le système judiciaire à l'époque ont fini par paraître ridicules lorsque les faits ont été révélés.

Les politiciens qui choisissent d'exploiter des affaires très médiatisées pour «promouvoir un discours politique» finissent par dévaloriser le travail des tribunaux, a avancé l'avocat.

Il juge aussi que les critiques des conservateurs sous-estiment la nature des infractions. Bien que l'accusation soit de «méfait», il ne s'agit pas d'un cas comme celui d'un enfant qui se comporte mal, a soutenu Me Spratt. 

L'affaire concerne deux organisateurs d'une manifestation qui a coûté des millions de dollars en dommages et causé un «préjudice réel» à des milliers de résidents du centre-ville d'Ottawa, a-t-il souligné.

En prononçant les verdicts de culpabilité, la juge Heather Perkins-McVey de la Cour de l'Ontario avait déclaré que Mme Lich et M. Barber encourageaient régulièrement les gens à se joindre à la manifestation ou à y rester, même s'ils connaissaient l'effet qu'elle avait sur les gens et les commerces du centre-ville.

Pierre Poilievre avait soutenu les manifestants pendant le mouvement. Il avait apporté du café et des beignets à certains camionneurs et les avait qualifiés de «personnes honnêtes et travailleuses» dans une vidéo tournée devant le Parlement en février 2022.

Selon Me Spratt, les commentaires extérieurs ne sont pas susceptibles de modifier l'opinion de la juge quant à une éventuelle peine pour Mme Lich et M. Barber.

«Cette juge en particulier ne va pas prendre de décision dans un sens ou dans l'autre parce que Pierre Poilievre a décidé d'exprimer son opinion sur les médias sociaux», a-t-il affirmé.