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Les écrits de missionnaires chrétiens pourraient changer la donne en matière de surveillance des changements climatiques.
Une équipe dirigée par des chercheurs de l'Université McGill a mis au point une méthode qui pourra potentiellement permettre d'améliorer les modèles climatiques sur l'Afrique en les combinant avec les archives des missionnaires du XIXe siècle. Voilà qui pourrait changer les projections d'impacts du réchauffement climatique, et voici pourquoi.
Les modèles sont un moyen important pour les scientifiques et les décideurs de comprendre comment l'influence humaine modifie le climat.
Pour établir ces projections, les modèles climatiques s'appuient sur des données de référence historiques (températures et précipitations, par exemple) afin de valider et d'affiner leurs résultats.
Cependant, le manque de données historiques spécifiques à certaines régions d'Afrique, ainsi que le déficit important de stations météorologiques par rapport à l'Amérique du Nord et à l'Europe, ont contribué à l'incertitude des modèles.
«L'absence de l'Afrique dans les données sous-jacentes rend le déploiement de ces projections inconfortable, car elle représente en partie la marginalisation du continent dans le discours scientifique mondial pendant et après le colonialisme», indique une étude publiée le mois dernier dans la revue Climate of the Past.
Pour combler ce manque de données, l'auteur principal de l'étude, Philip Gooding, s'est tourné vers une source peut-être improbable: les écrits des missionnaires chrétiens du XIXe siècle en Tanzanie.
Selon M. Gooding, ces documents sont problématiques, car ils proviennent de personnes qui ont contribué à la colonisation de l'Afrique et qui avaient leurs propres raisons de déformer les conditions climatiques. Mais peut-être qu'en analysant conjointement les modèles climatiques et les archives des missionnaires, il serait possible d'améliorer les deux.
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L'incertitude des modèles climatiques est un exemple de la façon dont les décideurs en Afrique doivent prévoir et se préparer à des conditions météorologiques extrêmes avec moins de ressources que leurs homologues dans d'autres parties du monde.
Les chercheurs ont tiré la sonnette d'alarme sur le manque de stations radar météorologiques, qui alimentent également les modèles climatiques, ce qui a privé certaines régions du continent de systèmes d'alerte précoce en cas de conditions météorologiques extrêmes, qui peuvent s'avérer vitaux.
L'Europe et les États-Unis comptent environ 636 stations radar pour une population de 1,1 milliard d'habitants.
L'Afrique, avec une population comparable et une masse terrestre plus importante, compte environ 37 stations, indique un article paru en 2023 dans la revue scientifique Nature, soulignant l'exposition excessive du continent aux risques climatiques.
L'Afrique de l'Est est l'une des régions les plus vulnérables au changement climatique et pourtant l'une des moins bien comprises, a déclaré Obed Ogega, climatologue et responsable de programme à l'Académie africaine des sciences, basée à Nairobi.
Pour planifier des communautés résistantes au climat, qu'il s'agisse d'une agriculture résistante à la sécheresse ou de routes résistantes aux inondations, «nous devons nous appuyer sur des informations climatiques».
«Plus nous comprendrons nos systèmes météorologiques et climatiques, mieux ce sera pour la région, non seulement pour renforcer la résilience des communautés, mais aussi pour les systèmes et pour s'assurer que nous minimisons la vulnérabilité que connaît actuellement la région», a déclaré M. Ogega, qui est également professeur auxiliaire à l'Université Mount Saint Vincent d'Halifax.
M. Gooding, historien, s'est rendu compte que ses recherches doctorales sur le lac Tanganyika, le deuxième lac d'eau douce le plus profond du monde, qui chevauche la frontière occidentale de la Tanzanie, pourraient être utiles.
Ses recherches ont porté sur des centaines de récits écrits de missionnaires et d'impérialistes décrivant les conditions de vie en Tanzanie sur une période d'environ 30 ans, qui s'est achevée dans les années 1890.
Dans ces récits, M. Gooding a trouvé des données spécifiques à la région qui manquent souvent dans les modèles climatiques de l'Afrique.
Cependant, le fait de s'appuyer sur les récits des missionnaires s'accompagne de problèmes et de limites évidents, comme l'indique l'étude.
La météorologie du XIXe siècle, tout comme la cartographie, faisait partie d'une pratique plus large qui visait à imposer la science européenne, et donc les idées européennes de «civilisation», à l'Afrique orientale équatoriale, en effaçant les modèles indigènes d'interaction entre l'homme et l'environnement et leur compréhension du climat et de la météorologie», indique l'étude.
Dans certains cas, les rapports des missionnaires ont pu être exagérés pour susciter des réactions émotionnelles de la part des lecteurs en Europe qui finançaient les missions.
Dans d'autres cas, les rapports ont pu minimiser les conditions difficiles dans le but d'établir la faisabilité de la mission.
«En bref, bien que très précieux, les documents sont très subjectifs, et ils ont à la fois affecté et été influencés par l'élaboration des connaissances impériales», et contribué à la poursuite de la colonisation de l'Afrique au 19e siècle, selon l'étude.
En collaboration avec une équipe internationale de climatologues et d'analystes de données, M. Gooding a normalisé les données documentaires sur une échelle de sept points afin de pouvoir les combiner avec les modèles climatiques.
Les récits de conditions climatiques normales se situent au milieu de l'échelle, tandis que les grandes sécheresses et les fortes précipitations se trouvent aux deux extrémités.
Bien qu'il n'existe pas de moyen simple de déterminer si les modèles climatiques sont plus précis lorsque les récits des missionnaires du XIXe siècle sont inclus, «on peut supposer sans risque qu'en ajoutant des données provenant de la région depuis le passé le plus lointain, on obtient une image plus complète de ce que l'on peut penser qu'il s'est passé», dit M. Gooding.
M. Ogega, climatologue basé à Nairobi, a salué les efforts des chercheurs, mais s'est montré sceptique quant aux récits des missionnaires et à la durée limitée de la série de données.
«Tant que je ne serai pas certain que la source que j'utilise est suffisamment crédible et adaptée à l'objectif visé, j'hésiterai beaucoup à l'utiliser», a-t-il prévenu. «Si vous tirez une conclusion sur la base de données erronées, vous pouvez facilement avoir des conséquences politiques très graves.» Il préfère se concentrer sur les données naturelles relatives au climat historique de la Tanzanie, telles que les études sur les sédiments lacustres ou les cernes de croissance des arbres, mais suggéré que cette recherche était un bon début et qu'elle pourrait inspirer d'autres études pour renforcer la confiance dans les archives des missionnaires.
«Peut-être s'agit-il d'une ressource à laquelle nous n'avons pas suffisamment réfléchi, mais à part cela, je ne dirais pas, pour l'instant, que c'est suffisamment concluant pour que je dise, "maintenant, à l'avenir, nous recherchons des rapports missionnaires et nous voyons comment nous pouvons les intégrer dans la modélisation du climat".»
M. Gooding a déclaré qu'il partageait en partie le scepticisme de M. Ogega à l'égard des rapports des missionnaires.
L'étude a consisté à trier les rapports et à les comparer aux modèles climatiques afin de déterminer quels récits semblaient plus ou moins fiables.
«Ils sont tous deux intrinsèquement imparfaits, mais je pense que leur lecture conjointe renforce leur valeur», a-t-il déclaré.
L'étude suggère que d'autres défis pourraient être relevés, notamment l'intégration de preuves provenant de traditions orales locales dans les reconstructions climatiques historiques.