L’intelligence artificielle (IA) se développe à vitesse grand V et est utilisée dans un nombre croissant de sphères de la vie quotidienne, au point où certains craignent même de voir leurs emplois être remplacés dans le futur. Mais d’après une experte en la matière, il n’est pas lieu de s’inquiéter… au contraire.
Invitée à réagir à une étude publiée par Microsoft en juillet dernier qui se penchait notamment sur les emplois qui ont la meilleure compatibilité avec l’IA, la directrice responsable de l’intelligence artificielle au Conseil de l’innovation du Québec, Anne Nguyen, a mentionné qu’on pouvait voir d’un bon œil l’intégration progressive de cette technologie dans le monde du travail.
Dans leur étude, les chercheurs de Microsoft ont analysé 200 000 conversations entre des usagers et la plateforme d’IA générative Microsoft Bing Copilot. Ils se sont surtout penchés sur les interactions effectuées dans des milieux de travail en mesurant les besoins des utilisateurs et les réponses fournies par l’IA. Les chercheurs sont alors parvenus à mesurer le degré de succès de la technologie par rapport à certaines tâches et à déterminer un niveau d’applicabilité de l’IA pour certains corps de métiers.
«On voit exactement la corrélation entre les questions que les gens posent à l'IA générative pour arriver à s'augmenter eux-mêmes», relève Mme Nguyen. Celle-ci mentionne par ailleurs avoir été davantage impressionnée par la méthodologie utilisée par les chercheurs que par les résultats qu’ils ont colligés.
Il ressort par exemple que les métiers avec la plus grande applicabilité de l’IA sont souvent ceux où il est question de traiter de l’information, écrire, synthétiser ou expliquer. Ceux où la technologie est la moins applicable sont les emplois manuels ou très spécialisés.
«Ça fait quand même un petit moment qu'avec l'IA générative, ce qui est nommé, c'est que ça va venir aider avec les tâches récurrentes, ça va vraiment aider dans les travaux intellectuels de collecte de données, d'analyse aussi», mentionne Mme Nguyen.
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Pour autant, la directrice responsable de l’IA au Conseil de l’innovation du Québec n’est pas inquiète de voir des emplois disparaître.
«Je vois vraiment une transformation des emplois plutôt qu'une perte d'emploi. Tous les projets qu'on a suivis jusqu'ici au Conseil d'innovation ont permis de créer des nouveaux talents, faire émerger des nouveaux métiers plutôt que d'en couper.»
Mme Nguyen poursuit en rappelant que plusieurs milieux d’emplois se retrouvent en pénurie d’employés: «Il n'y a aucun moment où on arrive dans une entreprise et où il y a trop de gens […] Chaque matin, tu arrives au travail et il y a déjà du travail qui est cumulé».
Selon elle, l’IA pourrait justement permettre un traitement accéléré de différentes demandes. Elle pourrait donc permettre de transformer des emplois plutôt que de les éliminer, ce qui pourrait être bénéfique.
Les 10 métiers avec la plus grande applicabilité de l’IA selon Microsoft
- Interprètes et traducteurs
- Historiens
- Agents de bord
- Représentants de services en vente
- Écrivains et auteurs
- Représentants au service à la clientèle
- Programmeurs d'outils CNC
- Opérateurs téléphoniques
- Billettistes et commis aux voyages
- Annonceurs de radiodiffusion et DJ à la radio
Les 10 métiers avec la moins grande applicabilité de l’IA selon Microsoft
- Phlébotomistes
- Aide-soignant(e)s
- Travailleurs chargés de l'enlèvement des matières dangereuses
- Aides-peintres, plâtriers
- Embaumeurs
- Opérateurs d'installations et de systèmesChirurgiens buccaux et maxillo-faciaux
- Installateurs et réparateurs de vitres automobiles
- Ingénieurs navals
- Réparateurs et changeurs de pneus
Tout n’est pas rose dans le pays de l’IA
Malgré les potentiels gains que l’intelligence artificielle pourrait amener dans le secteur du travail, Anne Nguyen reconnait qu’il peut aussi y avoir certains risques. L’un d’eux pourrait être un recours abusif à cet outil qui pourrait aboutir en une perte du jugement critique et de l’expertise.
Elle rappelle que les métiers les plus à risque d’être transformés par l’IA sont des domaines «plus intellectuels», comme l'informatique, les mathématiques, les professions de bureau, le support administratif ou les ventes, par exemple. Ces emplois ont tous en commun d’avoir une composante de prise de décision ou de communication.
«Si on s'appuie uniquement sur l'intelligence artificielle et non sur notre jugement critique, c'est possible qu’on lance dans l'univers un texte qui est complètement fou, qui a été halluciné par l'intelligence artificielle plutôt qu'un texte qui a été pensé par un expert qui a été accéléré dans sa rédaction grâce à l'intelligence artificielle et qui a été revalidé dans son contenu et sa crédibilité par le même expert», reconnaît Mme Nguyen.
L’IA comme outil plutôt que solution
Anne Nguyen maintient que l’IA ne viendra pas combler des emplois, même dans les secteurs affectés par une pénurie de main-d’œuvre, comme en santé ou en éducation, mais qu’elle risque plutôt d’aider les travailleurs concernés.
«On pourrait avoir une infirmière qui n’est plus obligée de prendre des notes à la main et de retranscrire à l'ordinateur parce qu'il y a des dispositifs propulsés par l'IA qui permettent de prendre sa voix puis de compiler plus directement, une feuille d'historique de patient», illustre-t-elle.
Le temps ainsi sauvé par cette infirmière pourrait lui permettre de passer plus de temps auprès de ses patients. «Rédiger à la main et retranscrire à l'ordinateur versus lire un rapport puis valider que c'est bien ça qui a été pris en note… Ça permet de gagner un temps énorme.»
Même constat en éducation. «Un robot ne pourra jamais remplacer un enseignant. Par contre, il peut peut-être l’aider à accélérer sa correction», souligne Mme Nguyen.
Enseigner à utiliser l’IA
De l’aveu de Mme Nguyen, le Québec est bien positionné de par ses infrastructures et de sa culture d’innovation et de recherche pour implanter progressivement l’IA dans ses différents corps de métier.
Par contre, il resterait encore du travail à faire pour éduquer la population à utiliser cette technologie de la bonne façon, d’après elle. «Comment faire des requêtes, comment parler avec son IA générative ? Je pense que ça, c'est une formation que tous les citoyens devraient avoir, peu importe quel âge. Donc ça doit passer par la maternelle jusqu'à la requalification des travailleurs», estime-t-elle.
«Comment se sentir en confiance? C'est quoi les différents signes qu'on doit valider à travers un produit donné par l'IA? Est-ce que l’IA a halluciné, c'est quoi l'expertise que tu dois mettre en place? Il faut développer des compétences plus humaines comme la créativité, l'empathie, savoir poser des questions.»
Des métiers en ce sens pourraient justement émerger, comme des intégrateurs de contenus générés, des spécialistes en collaboration humain-machine, des ingénieurs en intelligence artificielle générative, etc.
À ceux qui craindraient une éventuelle hégémonie intellectuelle de l’IA, Mme Nguyen rappelle que l’arrivée de la calculatrice avait aussi apporté son lot d’inquiétudes. «Les gens avaient peur qu’on devienne une société qui était mauvaise en mathématiques. Ils se disaient que ça ne servait plus à rien d'apprendre les mathématiques. Mais c'est faux», relève-t-elle.

