Nulle part ailleurs le caractère transfrontalier du cinéma n'est plus évident qu'au Festival de Cannes, qui s'amorce mardi, quelques jours seulement après l’annonce du président américain Donald Trump d'imposer des droits de douane sur les films internationaux.
Les cinéastes viennent des quatre coins du monde pour y présenter leurs films, tandis que les négociateurs travaillent nuit et jour pour vendre leurs productions dans différents territoires.
«On sort un film dans un décor digne du Colisée. Il faut vraiment se préparer à cette expérience, car elle est intense, à deux doigts de la sensation de montagnes russes qu'on ressent en montant les marches du Palais», explique le réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho, de retour à Cannes avec «L'Agent secret», un film à suspense se déroulant pendant la dictature brésilienne au cours des années 1970.
M. Filho a d'abord assisté à Cannes en tant que critique de cinéma. Une fois qu'il a commencé à faire des films, l'attrait du festival est resté intact.
«L'Agent secret» est son troisième film présenté en compétition à Cannes.
Plus que jamais, tous les regards du monde du cinéma seront tournés vers le 78e Festival de Cannes, et ce, pas seulement en raison de la longue liste de films attendus en avant-première sur la Côte d'Azur (dont des films de Spike Lee, Wes Anderson, Lynne Ramsay, Richard Linklater et Ari Aster) et du large éventail de vedettes qui fouleront le légendaire tapis rouge (Jennifer Lawrence, Denzel Washington, Robert Pattinson et Kristen Stewart, entre autres).
Alors que le cinéma et la course aux Oscars se sont internationalisés, le Festival de Cannes est devenu un tremplin mondial encore plus central pour l'écosystème cinématographique au sens large, malgré l'absence persistante de Netflix. Les récentes éditions ont vu naître une série de prétendants aux Oscars, dont «Anora», lauréat de l'Oscar du meilleur film cette année.
Parallèlement, la géopolitique imprègne Cannes comme aucun autre festival. Le tapis rouge cannois peut être autant une tribune de protestation politique que de «glamour». Cette année, le festival accueillera un cinéaste iranien dissident (Jafar Panahi), un cinéaste ukrainien (Sergei Loznitsa) et la première production nigériane en sélection officielle («My Father's Shadow» d'Akinola Davies fils).
En amont du festival, des cinéastes venus des quatre coins du monde ont évoqué leur parcours jusqu'à la compétition cannoise. Pour de nombreux réalisateurs, atteindre la compétition cannoise – cette année, ce sont 22 films en lice pour la Palme d'Or – représente une étape importante dans leur carrière.
«C'est important pour moi et c'est important pour le pays», a déclaré le Sud-Africain Oliver Hermanus, qui est en compétition avec «The History of Sound», une histoire d'amour historique avec Paul Mescal et Josh O’Connor.
De son côté, la réalisatrice japonaise Chie Hayakawa présentera «Renoir», un récit semi-autobiographique sur une fillette de 11 ans dont le père est atteint d'un cancer en phase terminale.
«Cela m'encourage énormément et me motive à faire des films. Je n'ai pas l'impression de concourir avec d'autres films, mais c'est significatif. Je sais combien la compétition est prestigieuse», a-t-elle affirmé.
«Le cinéma est mondial et transcende facilement les frontières de tous les pays et de toutes les cultures. C'est ce qui fait la particularité de Cannes», a-t-elle ajouté.
Cette année, le Festival de Cannes sera certainement marqué par l’onde de choc créée par Donald Trump, le 4 mai, lorsqu’il a fait savoir que tous les films produits à l'étranger seraient soumis à des droits de douane de 100 %. Cette annonce a semé l’émoi à Hollywood et dans la communauté cinématographique internationale.
La Maison-Blanche a déclaré qu'aucune décision définitive n'avait été prise. Parmi les options envisagées figurent des incitations fédérales pour les productions américaines, plutôt que des droits de douane. Mais cette annonce rappelle à quel point les tensions internationales peuvent déstabiliser même les plus anciennes institutions culturelles.
«Tout à perdre, tout à gagner»
Le Festival de Cannes est né pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque la montée du fascisme en Italie a conduit à la création d’une solution de rechange à la Mostra de Venise, alors contrôlée par le gouvernement. Depuis, l’engagement résolu de Cannes pour le cinéma en a fait un modèle pour les cinéastes. D’innombrables réalisateurs y sont venus se faire un nom.
Cette année ne fait pas exception, même si certains des cinéastes qui vont pour la première fois à Cannes sont déjà particulièrement connus. Kristen Stewart («La Chronologie de l'eau»), Scarlett Johansson («Eleanor la Grande») et Harris Dickinson («Urchin») dévoileront tous leurs premiers longs métrages dans la section «Un Certain Regard».
De nombreux habitués de Cannes seront également de retour, notamment Tom Cruise («Mission Impossible – Le Jugement dernier»), Robert De Niro (qui recevra une Palme d'or d'honneur 49 ans après la première de «Taxi Driver» à Cannes) et Quentin Tarantino (en hommage au réalisateur de westerns à petit budget George Sherman).
Oliver Hermanus est venu pour la première fois à Cannes avec son film «Beauty» en 2011. Il s'est montré naïf et optimiste avant de réaliser, dit-il en riant, qu'une sélection cannoise est «une invitation potentielle à une décapitation».
«J’essaie d'être réaliste quant au fait que c'est une arène de gladiateurs. On a tout à perdre et tout à gagner, a-t-il indiqué. Lorsque Cannes nous a sélectionnés, Paul (Mescal) et moi nous sommes dit: "Voilà le vrai stress. Survivrons-nous à l’intensité de Cannes?" Et nous étions tous les deux d’accord pour dire que c’était la raison de notre participation.»
