Les nombreux visiteurs et clients qui sont venus en personne dans mon cabinet ont pu remarquer que la fenêtre principale de ma salle de conférence ne possède pas de rideau, mais une image grand format semi-opaque de Warren Buffett.
J’ai pour lui une réelle admiration. D’abord pour sa modestie, ensuite pour sa grande sagesse. Bien qu’il soit multimilliardaire, il a toujours été sobre dans ses faits et gestes. Son sens de l’éthique à toute épreuve et sa gentillesse sont très rares dans les hautes sphères de la finance mondiale.
Samedi dernier, en apprenant qu’il quittera officiellement la présidence de Berkshire Hathaway à la fin de 2024, un pincement au cœur m’a saisi. On ne tourne uniquement pas la page sur une figure emblématique de la finance, c’est un livre entier que l’on referme.
J’ai lu ses plusieurs de ses lettres annuelles aux actionnaires pendant plus de vingt ans. Je les ai annotées, citées, partagées, relues. Chacune d’elles était une leçon de bon sens financier, d’humilité, de patience, de franchise. Elles devraient être enseignées dans toutes les écoles de commerce, non pas seulement pour leur contenu économique, mais pour la manière dont elles illustrent le rôle que l’argent peut (et ne peut pas) jouer dans une vie. Même l’aspect de son rapport financier est une leçon de modestie. Pas de couleurs qui flashent et de graphisme pompeux. Du texte, des chiffres… l’essentiel quoi.
Buffett a bâti Berkshire Hathaway à partir d’une coquille vide — une ancienne entreprise textile en déclin. Il aurait pu la liquider. Il aurait pu passer à autre chose. Mais non. Il a préféré l’utiliser comme tremplin pour incarner sa vision unique de l’investissement : acquérir des entreprises simples, rentables, bien dirigées, et les conserver à long terme, sans même changer leur logo.
Fruits of the Loom, Geico, Dairy Queen, See’s candies, Duracell, Coca-Cola, Benjamin Moore, Apple sont toutes des marques fortes, surtout grâce à la compétence des humains que Buffett a su retenir. Berkshire est synonyme de « long terme ». Dans un monde obsédé par les résultats trimestriels, Buffett a toujours su lever les yeux pour regarder l’horizon.
Le cas unique de l’action Berkshire
L’action de classe A de Berkshire Hathaway n’a jamais été fractionnée. Jamais. Elle s’échange aujourd’hui à près de 800 000 $ US. Une anomalie dans un marché où la mode est à la « démocratisation » des titres. Buffett, lui, a toujours été cohérent : s’il faut gagner sa place comme actionnaire, c’est que l’investissement est un engagement, pas un jeu.
Il faut dire qu’en 1965, le prix d’achat moyen pour Buffett de ses actions de Berkshire était de 19 $. En 2025, elle a touché un sommet ahurissant de 812 000 $ US. Une croissance annualisée d’environ 19,8 % par an sur presque 60 ans. Mieux que n’importe quel fonds spéculatif, sans jamais recourir à des artifices complexes ou à des paris chambranlants.
Un investisseur d’exception, un partenaire d’exception
Berkshire Hathaway ne fut pas qu’un « one-man-show ». Charlie Munger, son complice de toujours, l’a accompagné pendant un demi-siècle. Leur duo était légendaire. Si Buffett était le cœur, Munger en était la matière grise. Ensemble, ils ont investi dans Coca-Cola, American Express, Moody’s, BNSF Railway, Apple et des dizaines d’autres. En 2024, Apple représente plus de 40 % du portefeuille d’actions cotées de Berkshire, malgré la volatilité des marchés technologiques. Pourquoi ? Parce que Buffett croit en la résilience d’entreprises bien gérées, qui créent de la valeur pour leurs clients et leurs actionnaires.
Et puis, il y a eu ces moments plus insolites. Son amour des Dilly bars ou des Blizzard chez Dairy Queen (qu’il possède), son goût pour le Cherry Coke (qu’il boit chaque jour), son refus d’acheter un ordinateur portable jusqu’à un âge avancé, son habitude de conduire lui-même sa Cadillac. Toutes ces choses contribuent à en faire une figure attachante, accessible. L’opposé du cliché du financier arrogant. L’antiBling-Bling par excellence !
Buffett, le philanthrope
En 2006, Buffett a annoncé qu’il donnerait 99 % de sa fortune à des œuvres caritatives. Ce n’est pas une promesse abstraite : il a déjà versé plus de 51 milliards de dollars à des fondations, dont celle de Bill et Melinda Gates. Ce geste colossal a redéfini les standards de la philanthropie moderne. Il a aussi été le co-initiateur du mouvement « Giving Pledge », par lequel des milliardaires s’engagent à donner la majorité de leur fortune de leur vivant ou à leur décès. Encore une fois, il mène par l’exemple.
Je me rappelle encore l’entrevue où on lui a demandé pourquoi il n’avait jamais laissé de yachts, d’avions privés ou de châteaux à ses enfants. Sa réponse a été limpide : « Je veux leur donner assez pour qu’ils puissent faire ce qu’ils veulent, mais pas assez pour qu’ils ne fassent rien. »
Un sens de l’humour désarmant
Buffett n’a jamais été sec ou prétentieux. Lors de ses assemblées générales annuelles à Omaha, surnommées le « Woodstock du capitalisme », il répondait lui-même aux questions de milliers d’actionnaires pendant plus de 6 heures, sans note, avec générosité, humour et franchise. Il faisait des blagues sur ses erreurs, comme son investissement raté dans Tesco, ou sa patience excessive envers des dirigeants sous-performants.
Tous les planificateurs financiers ont en mémoire quelques citations savoureuses de Buffett. Ma préférée est une métaphore qui illustre qu’il faut donner le temps à ses investissements et que la qualité exige du temps : « On ne peut pas faire un bébé en un mois en mettant neuf femmes enceintes. »
Il avouait aussi humblement qu’il n’avait pas tout vu venir : la montée des géants technologiques l’a surpris, et il a mis du temps avant d’acheter Apple, mais il l’a fait en y mettant des milliards — avec, encore une fois, une vision à long terme.
Aspirez à être gentil
Si j’accroche son portrait à ma fenêtre, ce n’est pas pour ses milliards. C’est pour les valeurs qu’il incarne. Il représente la constance dans un monde agité. L’intégrité dans un milieu qui valorise souvent l’ego. La simplicité dans un univers saturé d’algorithmes et de jargon.
Buffett a aussi été un modèle dans sa façon de communiquer. Aucune lettre d’actionnaire n’est écrite par une équipe de marketing. Ce sont ses mots. Simples, clairs, didactiques. Il parlait à ses actionnaires comme s’il leur écrivait une lettre personnelle. Pas de PowerPoint. Pas de buzzwords. Juste la vérité.
Alors que Warren Buffett annonce son départ, je ne me sens pas triste. Je me sens reconnaissant. J’ai eu la chance de vivre à une époque où cet homme a montré qu’on pouvait être à la fois immensément riche et profondément décent.
Conscient de la morosité ambiante depuis le retour de Trump à la présidence, samedi dernier, il a ému le monde des affaires avec cette phrase lumineuse : « Aspirez à être gentil et le monde s’en portera mieux ». Warren Buffett, c’est un modèle d’investisseur. Mais surtout, c’est un modèle profondément humain et attachant.
Et ça, ça vaut plus que n’importe quel portefeuille garni.

