Quiconque s’intéresse à ces lignes sait, depuis laide lurette, que le royaume de Donald est tout sauf insignifiant, côté violation d’État de droit. La présente ne fera, on le craint, aucune exception. Parce que même si la nouvelle a reçu un écho partiel, ici comme ailleurs, n’en demeure pas moins que le caractère gravissime de celle-ci pourrait, au final, potentiellement éclipser le reste.
Avant tout, une question, histoire de mettre la table correctement : pour ou contre, le fait que l’État respecte les lois ? Pour ? Excellent, on poursuit. Contre ? On vous invitera poliment à cesser la lecture, optimisant ainsi votre temps.
Alors parmi les comportements prohibés par les lois en vigueur, trône au sommet l’interdiction pour un État de tuer sans justification normative. Or, voilà exactement le cas qui nous occupe, en l’espèce. Parce que, depuis le 2 septembre dernier, l’armée américaine multiplie les assassinats.
Trop fort, comme terme? À vous, ici encore, de juger: comment nomme-t-on le fait de tuer, sans droit préalable ? Voilà. L’histoire, donc ? J’y arrive, j’y arrive. Depuis le début de septembre, et sous les directives expresses de Donald, ont été coulés 11 bateaux en provenance du Venezuela, assurant près de 50 morts.
Le crime des marins en question? D’être, ou plutôt, d’avoir été des « narco-terroristes », clame le propriétaire de la Maison-Blanche. Les derniers en lice, assassinés il y a quelques jours à peine, naviguaient sur « un bateau transportant suffisamment de drogue pour tuer 25 000 à 50 000 Américains » d’ajouter Donald.
En bref, de dangereux tueurs en série méritant la mort préventive, le tout afin de préserver le bon peuple américain d’un génocide imminent. Plusieurs, là-bas comme ici, applaudissent d’ailleurs chaudement à l’initiative.
Traitant de l’affaire lors de ma chronique au 98,5, dimanche, le chum Lévesque s’amuse à lire en ondes les premiers commentaires reçus : «Bérard est tellement anti-Trump qu’il donne mal au cœur !» ; «Bravo à Trump qui se bat pour défendre et protéger son pays» ; «Les cartels sont des organisations terroristes, ils sont un danger pour les États-Unis qui doivent se protéger».
Afin de faciliter la discussion, partons de la prémisse que l’ensemble de ce qui précède soit juste (mal de cœur inclus). Ça change quoi, concrètement? Rien. Du tout.
Parce que de l’un, absolument rien ne laissait entendre que les bateaux coulés constituaient une menace pour la sécurité immédiate des É.-U. Des armes de longue distance à bord, par exemple. Même Peter Hegseth, sbire par excellence et second boss des armées, n’a pas cru bon inventer une trame semblable. Aucune justification, donc, à une attaque tous azimuts, plutôt que d’arrêter la cargaison — et ses moussaillons — en bonne et due forme.
De deux, à écouter Donald et son 25 000 à 50 000 morts, c’est à croire que les « narco-terroristes » (bravo pour le néologisme, d’ailleurs) que ceux-ci s’apprêtaient à droguer nos bons Américains, sinon à leur insu, au moins sans leur consentement. Genre les prendre par les cheveux et les forcer, sauce Électrolux, à aspirer les chemins de fer de cocaïne tracés à dessein mortifère.
De trois, surtout : il est écrit où, dans la Constitution ou quelconque loi américaine, que l’armée puisse couler votre bateau, sans preuve, accusation ou procès? Sans vous laisser la possibilité de présenter une défense? Vous croyez les motifs ou soupçons sincères et fondés sur le réel? Fort bien, alors quel est le problème à refuser la preuve de ceux-ci? Idem en vertu du droit international, lequel prohibe sans raison, telle l'urgence de la situation, une attaque du genre.
La morale de l’histoire? Toute simple : si l’on permet, peu importe la raison invoquée, le meurtre d’État sans procès, il sera sous peu loisible d’assister à une spectaculaire orgie d’arbitraire. Et que si l’objectif vous plaît en l’espèce (soit de protéger un peuple contre la dope), peut-être en sera-t-il autrement dans de prochains cas de figure ? Débarquer par exemple au Canada et envoyer ses dirigeants — ou encore ses citoyens influents — au goulag, ceux-ci étant soupçonnés de conspiration anti-américaine. Farfelue, comme illustration ? Pourtant, l’histoire des régimes autoritaires regorge de similaires.
Et voilà justement la raison de l’éthos d’un État de droit : séparer le vrai de la bullshit, éviter l’arbitraire à tout crin, forcer l’État à montrer patte blanche, en tout temps, aux yeux d’un pouvoir judiciaire aux allures de chiens de garde. La fin justifie les moyens ? Encore faut-il savoir si, le cas échéant, si la fin existe bel et bien, et si le moyen se justifie par la Loi.
Pour conclure, saviez-vous que Donald déteste à mourir Maduro, leader contesté (et contestable) du Venezuela, lequel est noyé de beau pétrole ô combien payant ?
Je dis ça, mais je ne dis rien.
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