Dimanche, c’est la fête des Mères. Si je te le rappelle en ce moment même, sache que ça me fait plaisir, mais il faudrait que tu enlignes tes flûtes parce qu’il te reste grosso modo 48 heures.
Tu n’es pas obligé que ce soit le Cirque du Soleil qui débarque dans son salon pour faire de la journée un moment féérique et acrobatique, mais ce serait le fun qu’elle sente que c’est sa journée. De toute façon, on le sait très bien, les mamans ont le bonheur facile quand arrive ce fameux dimanche. C’est vrai. Moi, ma mère a toujours été enchantée par mes petites attentions.
Je me souviens très bien avoir vu ses yeux s’illuminer de toutes les étoiles de la galaxie quand je lui ai offert son premier collier en macaronis (pas cuits) et peint à la main avec de la gouache à moitié séchée dans le pot. Le tout monté sur une ficelle blanche résistante. Cette même ficelle qui servait à faire tenir ses plants de tomates au printemps.
Elle a poussé des petits cris de joie en voyant mon porte-crayon artisanal fait avec une boîte de conserve de soupe aux pois, rincée, mais qui sentait encore beaucoup les pois. Cette canne sur laquelle j’avais collé, avec de la colle blanche, des bâtons de pop-cycle nettoyés avec ma langue après avoir terminé la portion de jus congelé qui était dessus. Bâtons que j’avais bien sûr peints avec de la gouache à moitié séchée dans le pot. Je sais que vous vous en doutez, mais je tiens quand même à le spécifier, ces cadeaux ont été faits et offerts quand j’étais enfant. Mais je ne vous juge pas si vous les offrez encore à votre âge adulte. Il n’y a pas d’âge pour les bricolages complexes.
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Jeune adulte, je lui offrais des vêtements, des bulles de bain et des crèmes pour le corps (c’était la grosse mode d’aller magasiner pour sa maman dans les boutiques Dans un jardin de chez Jean Coutu ou de Zellers). Ma mère était toujours très contente, mais ça finissait quand même, chaque fois, par la phrase: garde donc ton argent !
Ma mère a toujours été de celles qui aiment rester chez elle. Cuisiner pour tous. Gérer sa maison. Aller faire son tour régulièrement dans notre Charlevoix et visiter notre famille. Écouter ses téléromans et surtout son Canadien de Montréal. On est loin de la définition du mot: excentrique. On est plus proche de la simplicité. À la fête des mères, ce qui faisait plaisir à ma mère, c’était de commander un quart cuisse du restaurant de saint qui n’a rien à voir avec le poulet, mais bien avec le nom de la rue où était la première succursale.
J’aurais voulu qu’on aille au resto. Une bonne bouffe. Non. Un quart cuisse. Même pas l’extravagance d’une poitrine. Non, pour ma mère, sa boîte de poulet et congé de cuisine, c’était tout ce qu’elle voulait. Rien de mieux. Alors, c’est ce qu’on a fait pendant des années. Ça ne servait à rien de tenter de briser la routine. Et au fond, si c’est ce qu’elle aimait : se graisser les doigts en jasant avec moi à la table, ça m’allait très bien.
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Je l’ai déjà dit ici, ma mère a la mémoire qui s’embrouille beaucoup. Plus rien n’est très clair. Ce qui fait qu’on ne fait plus de combo: fête des Mères et quart cuisse. Quand je suis allé la voir à Pâques fin avril, je ne me souviens plus trop comment j’en suis arrivé à lui parler de ses soupers de fête des Mères, mais elle s’est souvenue. Une petite éclaircie dans la brume. On était samedi 13h et j’ai dit à ma mère: «Je vais nous chercher deux quarts cuisse. Là, maintenant.» Ma mère a ri parce qu’elle trouvait que c’était de la grosse folie pure. Peu importe. On a mangé nos boîtes en jasant. Une discussion décousue comme d’habitude, mais peu importe. La peau croustillante du poulet rendait le moment magique. Ironiquement, ma mère a dit: «Je ne me souvenais pas comment c’était bon.»
Au moment de partir, j’ai ramassé les boîtes pour les jeter en sortant et ma mère m’a dit : me semble que ça sent le poulet. C’est bizarre. Oups, la réalité avait repris sa place. Mais c’est correct, ça fait maintenant partie de notre quotidien. Ce samedi-là, je suis reparti avec un souvenir de plus. Un souper d’après-midi quart cuisse en tête-à-tête. Pour cette fête des Mères, je vous souhaite à vous aussi un moment un quart de cuisse. Peu importe la forme qu’il prendra.
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