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«La prochaine fois qu’il vous viendra l’envie de dire aux filles d’aller porter plainte, pensez à E.M.»
C’est une onde de choc qui a secoué une partie de la population avec ces deux mots, prononcés lors de la lecture du verdict rendu par la juge Maria Carroccia dans l’affaire Hockey Canada.
« Ni crédible ni fiable ».
Ces premiers échos, provenant des médias qui rapportaient les propos de la juge Carroccia sur la plaignante, n’auguraient vraiment rien de bien pour ceux d’entre nous — je m’inclus — qui croyaient et qui croient toujours la plaignante.
J’ai tout de suite pensé à Angela Davis qui a écrit « les lois sur le viol en tant que règle ont été d’abord pensées pour la protection des hommes des classes aisées, dont les filles et les épouses pouvaient être attaquées. Ce qui arrivait aux femmes des classes ouvrières important peu à la justice ; c’est ainsi que très peu d’hommes blancs ont été inculpés pour les crimes sexuels qu’ils ont infligés à ces femmes ».
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Historiquement, les témoignages des femmes à la cour sont en partie devenus recevables à l’époque des chasses aux sorcières. Les femmes arrêtées étaient alors dévêtues pour chercher sur leur corps des traces du Mal, dont toutes les singularités faisaient l’affaire, que ce soit un grain de beauté, une tache de naissance ou une cicatrice afin de prouver leur vice.
Cette phrase dans l’analyse de la juge m’a fait penser à ça, lorsqu’elle souligne que la plaignante faisait souvent référence à sa vérité plutôt qu’à la vérité, la menant à remettre en question l’objectivité du témoignage.
Comme si on cherchait sur la plaignante, une irrégularité sur sa peau, n’importe quelle trace d’une anomalie pour mettre en doute sa parole.
Durant cette période des chasses aux sorcières, on mettait tant en garde les jeunes filles contre le Mal qu’elles portaient en elles, qu’il arrivait parfois qu’elles finissent elles-mêmes par se croire posséder du démon.
Dénoncer une agression sexuelle est un parcours immensément pénible. En plus de faire face à la honte et aux préjugés d’autant plus grands dans un dossier aussi médiatisé que celui qui nous occupe aujourd’hui, les victimes elles-mêmes en viennent à normaliser et minimiser la violence qu’on leur a infligée. Le parcours méandreux qu’est celui des victimes d’agressions sexuelles n’a rien de linéaire. La culture du viol dans laquelle on baigne ne peut que venir altérer les propres croyances des victimes et venir semer des doutes dans leur esprit.
Le système judiciaire vient exploiter exactement cela, cette complexité des blessures dont on vient à douter nous-mêmes.
Après sept ans, il s’agissait bel et bien de sa vérité et cela pour moi, ne vient en rien miner la véracité de son témoignage parce que c’est justement comme ça qu’on se sent des années après s’être fait violenter. Il nous arrive parfois de penser qu’on l’a rêvé, cet événement, et que c’était peut-être après tout un malentendu.
Nos pensées vont dans tous les sens pour rationaliser les sévices qu’a subis notre corps. Je le répète, c’est exactement comme ça qu’on se sent. C’est notre vérité contre le monde entier, et parfois contre nous-mêmes.
Rien n’a changé depuis la Renaissance. On fouille encore les femmes devant un juge pour trouver des traces d’une imperfection et ainsi, annihiler leur témoignage. Rien n’a changé depuis cette phrase d’Angela Davis. Le système fonctionne exactement tel qu’il a été dessiné pour protéger les hommes des classes aisées.
Encore une chose, rappelez-vous durant la vague moi aussi quand il y a eu plus de douze millions d’utilisations du mot-clic #metoo pour dénoncer des agressions.
Souvenez-vous des gens et de ces chroniqueurs qui disaient aux filles qu’elles n’avaient qu’à aller porter plainte.
La prochaine fois qu’il vous viendra l’envie de dire aux filles d’aller porter-plainte, pensez à E.M qui a dû vivre et revivre son traumatisme des années durant, le dire et le redire pour se faire entendre, tout ça pour qu’une juge vienne la déclarer « ni crédible, ni fiable ».
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