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J’ai un paquet coincé en Ukraine depuis le 12 février. Il devait arriver au plus tard le 1er mars. D’après moi, il n’arrivera pas.
C’était deux supports en bois pour installer au mur le clavier musical de mon fils et lui donner des airs de piano droit. Nous habitons dans un appartement grand comme un piano à queue, donc inutile de vous dire que jusqu’à maintenant, il apprenait plutôt la guitare.
Mais une maison sans piano n’est peut-être pas une maison, alors j’ai décidé de lui acheter un clavier à notre mesure, t’à coup que la musique qu’il semble avoir en lui (comme son père) voudrait sortir. Mais les supports pour installer le piano sont en Ukraine.
C’est absurde d’imaginer ce petit paquet quelque part dans un bureau de poste. Il a peut-être brûlé. Bombardé. Les supports avaient été faits à la main par un artisan à Ternopil. Bien sûr, je ne vais pas le contacter. Bien sûr, je ne vais pas lui demander des nouvelles de mon paquet alors que son pays se fait ravager par l’armée d’un enfant de chienne. Il y a des limites au privilège que j’ai déjà en travers de la gorge ces temps-ci.
Et en même temps, le banal de la vie, c’est tellement pour cela que l’on se bat. C’est tellement dans ce monde que l’on veut vivre. Que je puisse écrire à un monsieur qui gosse le bois à l’autre bout du monde pour lui dire « Hey, j’ai besoin d’un truc pour tenir le clavier de mon fils au mur, t’as l’air d’en fabriquer, je peux t’en acheter un ? » Pourquoi d’autre on se bat si ça n’est que pour cette putain de vie normale que l’on avait y a deux minutes ? Cette vie simple avec des hauts et des bas, cette vie que des milliards d’humains veulent, mais qui peut être subitement dérobée par la vengeance maniaque d’un dictateur humilié dans sa petite graine (Je m’excuse, mais la violence de ces hommes ne mérite que notre vulgarité).
C’est insupportable que nous sachions que ce qui se passe est grave et que nous ne puissions pas l’arrêter. À peine le prévenir. C’est insupportable d’être otages de nos semblables. Intolérable de voir un pays se faire raser sous nos yeux pour rien. RIEN.
Alors bien sûr, certains me diront que je ne réagissais pas comme ça quand des enfants du Yémen ou de la Syrie ou des Afghans se faisaient bombarder. Je ne peux plus l’entendre. C’est tellement faux. Nos ventres de mères ont mal à chaque fois. La vérité était sûrement plus facile à se cacher, ça, j’en conjure. Mais la violence que subissent les Palestiniens depuis que je suis petite, les guerres de merde en Afghanistan, la Syrie qui n’en finit plus de vivre la barbarie à cause de son dictateur abject depuis 2011. Cette violence est partout. Partout. Et sans cesse. Toutes les guerres, de la première à la dernière, sont injustifiées. Il n’y en a pas une pour excuser les autres.
Même les Ukrainiens que l’on ne cesse de féliciter pour leur bravoure, nous rendons-nous bien compte de ce que l’on félicite ? On ne peut qu’être déprimé qu’un prof doive prendre une kalachnikov pour aller descendre un Russe qui (parfois) sait à peine pourquoi il est là, au nom d’un putain de dictateur de merde qui a sauté un plomb pour des raisons égoïstes !
Dans les faits, toute personne poussée à sa propre barbarie est un échec que l’on porte tous. Ce qui me décourage le plus, c’est que je sais que des millions, peut-être des milliards d’humains dans le monde, sont plus évolués que ça. Et que nous sommes prisonniers. Toutes nationalités confondues. Quelle que soit la couleur de votre peau ou de vos cheveux, nous sommes des millions de tous les horizons à connaître la différence entre le bien et le mal, la vérité et le mensonge crasse. Et chaque jour, où que nous soyons, nous payons pour les autres.
J’en ai ras le bol.