Chroniques

Médias et violences sexuelles: rétrospective

«Rozon. Diddy. Weinstein. Mazan [...] Dans la couverture de ces procès, faisons-nous les choses de la bonne manière?»

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(Montage Noovo Info et La Presse canadienne)

Rozon. Diddy. Weinstein. Mazan. Hockey Canada. 

Dernièrement, il y a légion de procès en matière d’agressions sexuelles. Naturellement, ces affaires font la manchette, car elles sont de grand intérêt public. Mais aussi, parce qu’elles impliquent des personnalités connues.

Or, dans la couverture de ces procès, faisons-nous les choses de la bonne manière?

Comment fait-on pour prendre soin de soi lorsque l’on voit en boucle les visages d’accusés dans les journaux et sur toutes les chaînes de télévision ? Indépendamment des verdicts, certaines déclarations, particulièrement les plus scabreuses, peuvent choquer et réveiller de vieilles blessures chez le public.

D’autant plus qu’à chaque fois, le scénario est essentiellement le même.

Primo, les personnes accusées — souvent puissantes — se diront victimes d’une vendetta.

Inévitablement, des hommes (et des femmes!) de leur garde rapprochée leur manifesteront leur appui. Ces hommes et ces femmes auront soit une stature sociale équivalente ou joueront le rôle d’attirer un capital de sympathie envers la personne accusée. Certains membres de cette garde rapprochée mentiront consciemment. D’autres banaliseront les gestes même lorsqu’ils estiment qu’ils ont été posés. Enfin, plusieurs seront sincèrement convaincus de l’innocence de leur compatriote. Quelle que soit leur position, ils et elles soutiendront que leurs bons vieux chums n’ont jamais commis de gestes répréhensibles qui mériteraient une sanction.

Secundo, les plaignantes, elles, réitéreront qu’elles ne sont ni menteuses, envieuses ou arrivistes. Néanmoins, on les accusera de vouloir faire du profit ou du capital sur le dos des hommes. Elles diront ne demander qu’à être crues, validées et entendues.

Enfin, en parallèle de ces procès-spectacles, on verra sur le Web des memes qui tourneront en ridicule ces affaires gravissimes avec une trop grande légèreté.

Du côté des médias traditionnels, on peut apprécier l’évolution de l’industrie malgré le flagrant ressac post #metoo. 

En 2025, je doute fortement qu’un média québécois traite du meurtre de l’actrice française Marie Trintignant de la manière dont cela a été fait au début des années 2000. Dorénavant, nous réfléchissons davantage à chaque mot utilisé, à leur poids et à leur sens. Avec le temps, il est devenu coutume de voir une liste de ressources d’aide et de soutien à la fin d’un article sur la violence conjugale. Ou encore, que la section Commentaires d’un média soit fermée pour éviter tout dérapage.

Cela étant dit, il reste toujours du travail à faire. La preuve est qu’en 2023, l’organisation torontoise femifesto en collaboration avec des militantes féministes et des journalistes canadiennes chevronnées a mis sur pied un guide intitulé Use The Right Words. Il comprend une lettre exclusive de Robyn Doolittle, journaliste primée du Globe and Mail qui était derrière Unfounded qui avait fait grand bruit en 2017, enquête qui avait contribué à changer des mentalités.

Doolittle y explique que la série Unfounded l’a transformée professionnellement et pour le mieux. Elle offre des pistes concrètes pour traiter des agressions sexuelles avec sensibilité et éthique, un enjeu dont c’était également saisi l’Institut national de santé publique du Québec. Si bien que Use The Right Words est utilisé dans plusieurs écoles de journalisme en plus contribué à un changement de ton dans la couverture médiatique des violences sexuelles au Canada.

Ne me méprenez pas. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Sans les journalistes, il n’y aurait pas eu de #metoo. Le quatrième pouvoir a permis bien des choses pour des victimes de violences face au cul-de-sac que représentent les tribunaux.

En ce sens, la démarche derrière Use The Right Words est plus que pertinente. Elle décloisonne les savoirs face à un même phénomène tout en prenant en compte les expertises et le cadre professionnel de chacun. Une approche multidisciplinaire et holistique qui est un modèle à suivre bien au-delà de l’enjeu des agressions sexuelles.

Comme quoi, vouloir faire œuvre utile n’est pas incompatible avec la rigueur, le professionnalisme et l’esprit critique qu’exige la profession.

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