Chroniques

L’été des malaises

Soyez vivantes, agressives, vocales. Cet été, soyez désagréables.

Publié

(Montage Noovo Info | Envato)

Cet été, c’est le temps d’être désagréable.

L’été se pointe le bout du nez. Avec lui, vient les verres sur les terrasses, les weekends en campagne et les après-midis à ne rien faire d’autre que laisser notre peau cuivrer sous le soleil. Les distractions de la saison chaude ont tendance à nous éloigner des choses sérieuses. On lit moins les journaux. On ouvre un livre sur nos cuisses qu’on ne feuillette que distraitement. Ce n’est pas notre faute, l’été est fait pour les insouciants. Surtout ici, où la chaleur vaut plus cher. La légèreté du mois de juin fait ombrage aux fins du monde.

J’ai tendance à être cette fille dans les fêtes, qui pose aux inconnus toutes sortes de questions inconfortables – qui sont, soyons honnête, uniquement inconfortables pour ceux assis du mauvais côté de l’Histoire. Avant d’accepter leur compagnie, j’ai l’habitude de tirer les étrangers en terrain miné. Je veux savoir ce qu’ils pensent de Trump, de la montée de l’extrême droite, de la Palestine. Je veux connaître leur position sur l’avortement et sur l’immigration. Avant de leur sourire, j’ai besoin de savoir pour qui ils ont voté. Ce qu’ils pensent de Pierre Poilievre. J’ai besoin de leur faire comprendre que cela a de l’importance.

Je me fais une mission personnelle de détruire les conversations superficielles et de ramener les gens vers les ruines. Avant de leur accorder mon temps, je veux savoir à qui j’ai à faire.

On en a terminé de l’époque où le politique n’était pas personnel, où il y avait une place pour ces choses-là. On doit refuser notre présence à ceux que l’Histoire, tôt ou tard, saura reconnaître pour ce qu’ils sont. Ce n’est qu’une question de temps. Je crois qu’on doit accepter de créer le désordre, pour pouvoir dire, dans cinquante ans, qu’on n’a pas fraternisé avec l’ennemi.

Je vous avertis, être cette fille étouffant le small talk et perturbant les conversations n’est pas toujours facile. C’est tuant de nager à contre-courant et de ne pas faire l’unanimité. Vous aurez l’impression d’être le problème parce que ce n’est pas ce qu’on attend des filles, que de défaire ainsi l’ordre établi. C’est une démarche solitaire et sauvage, parfois ostracisante et fabriquant des bagarres de mots dans des lieux qui ne sont pas faits pour la guerre. Mais c’est aussi extrêmement satisfaisant de surprendre un homme dans un bar qui ne voulait que flirter et lui servir à la place, une joute politique. 

Devant ceux voulant à tout prix éluder mes inquisitions, j’aime leur faire savoir que leur manque d’empathie est un handicap social avec les filles. Qu’ils ne peuvent séduire celles qu’ils refusent de respecter.

On se demande souvent ce qu’on peut faire, en ces temps troubles, pour faire notre part. Je crois qu’on doit d’abord revenir à la base. Lire, s’éduquer, déranger. On ne peut plus se contenter de sourire et de réprimer nos opinions pour éviter le malaise durant un souper. Soyez vivantes, agressives, vocales. Cet été, soyez désagréables. On ne peut plus se satisfaire de voter. On doit aussi gêner ceux qui votent contre nous et contre nos confrères.

Les changements sociaux n’émanent pas seulement des héros et des leaders, mais du monde banal comme vous et moi, qui refuse de se la fermer. 

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