L’image est forte. Si j’étais plus optimiste, j’y verrais une victoire. La plus grande star du cinéma français a été reconnue coupable pour agressions sexuelles commises sur deux femmes.
Les faits se sont déroulés sur un plateau de tournage en 2021. Quatre autres femmes ont témoigné durant le procès de quatre jours. Au total, une vingtaine de femmes ont dénoncé l’acteur à travers les années. Il aura fallu un documentaire où Depardieu tient des propos obscènes très proches du harcèlement sexuel, montrant un Depardieu sachant pourtant qu’il est filmé, pour que le public voie son vrai visage. Il était désormais impossible de regarder ailleurs.
Seulement, Depardieu ne s’en est jamais caché.
Reculons en 1978. Depardieu est interviewé à la veille des Oscars. «La violence n’est pas commise par ceux qui perpétuent l’acte, mais par les victimes eux-mêmes». L’affaire fait scandale aux États-Unis.
Depardieu: primitif français, titre le texte. Durant cet entretien, l’acteur dit avoir participé à plusieurs viols dans sa jeunesse, «trop de viols pour les compter». Durant l’entretien, il ne cesse de s’incriminer. «C’était normal». Puis, «les filles voulaient être violées». Il aura fallu 50 ans pour voir finalement le géant du cinéma faire face à la justice.
Un demi-siècle à épingler ses agressions et son comportement de monstre sur un mince «Oui, mais c’est Gérard». Toujours accepter la violence perpétrée par celui qui ne cesse de la commettre, comme si l’homme est un animal incapable de contenir ses besoins.
Un homme capable d’harceler des femmes devant une caméra, j’ai peur de ce qu’il peut commettre dans le privé.
Partout on a pu lire que Gérard Depardieu était absent au délibéré de sa peine. Peu ont rapporté où était l’acteur.
C’est que Depardieu est présentement en tournage.
Vous avez bien lu. Et vous pouvez être sûr que ce n’est pas son dernier. Je vous parie tout ce que j’ai que Gérard retrouvera les caméras après sa peine d’un mince dix-huit mois; on nous dira qu’il a payé sa dette à la société. Rien n’arrêtera le cinéma français de s’associer avec un monstre, quand ce monstre rapporte de l’argent.
Depardieu est présentement au Portugal pour le film Elle regardait sans plus rien voir de l’actrice et réalisatrice Fanny Ardant. Les médias rapportent des images de Depardieu datant du 2 mai, souriant avec l’équipe. «Le tournage se passe bien», peut-on lire. À son sujet, Ardant a déclaré «Toute forme de génie porte quelque chose d’extravagant, d’insoumis, de dangereux». Dangereux pour qui? J’ai envie de lui demander.
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En entendant la sentence, j’ai tout de suite pensé à Macron qui, durant le scandale sur le documentaire montrant le visage monstrueux de l’acteur, a tout de même cru bon de déclarer: «Je suis un grand admirateur de Gérard Depardieu. La Légion d’honneur est un ordre dont je suis le grand maître qui n’est pas là pour faire la morale.» Puis il ajoute cette phrase incroyable dont je ne peux pas croire qu’on se soit remis: «Je déteste les chasses à l’homme. Quand tout le monde tombe sur la même personne qui n’ait même pas la possibilité de se défendre».
Entendre le président de la France appeler «chasse à l’homme» ce qui arrive à Depardieu, un homme ayant lui-même avoué ses viols, un homme dont une vingtaine de femmes ont dénoncé les comportements — et on ne saura jamais combien d’autres dont la sécurité a été mise a mal durant des décennies —, tout cela pour servir le cinéma français. Je ne pense à rien de plus cruellement symbolique pour décrire la culture de nos voisins que cette déclaration de Macron.
Voir le géant du cinéma français prendre le chemin de la prison va ressembler à quelque chose comme un gain. Pour moi, cela ressemble davantage à l’une de ces scènes dans les films criminels, quand le prédateur se rend lui-même.
Depardieu aurait pu terminer sa carrière en commettant ses crimes dans l’ombre, car c’est bien que ce que le milieu souhaitait. S’il fait aujourd’hui face à la justice, c’est qu’il révélait une conduite si outrageusement dépravée aux yeux de tous, qu’on n’a finalement pas eu le choix d’agir.
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