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Ceux qu’on appelle les vieilles personnes ou qu’on désigne hypocritement comme « l’âge d’or » ont tant à nous dire et à nous transmettre. Et on fait tout pour les balayer loin loin, comme si c’étaient des mousses de t’sour de divan.
Je participais en fin de semaine à une discussion autour de mes livres à la bibliothèque de Repentigny. Il y a beaucoup de personnes plus âgées qui viennent dans les rencontres d’auteurs en bibliothèque. Dans les Salons du livre, aussi. Et, chaque fois, c’est un véritable délice pour moi d’échanger avec elles.
D’ailleurs, je jasais récemment avec Shirley Théroux. J’étais ébahie par la façon dont elle cultive les liens avec son public depuis des décennies. C’était au Salon du livre de Trois-Rivières. Elle signait à côté de moi et avait une file pas mal plus longue que la mienne. Grand bien.
À un moment donné, je l’écoutais raconter des histoires à deux dames. Mais je l’observais surtout écouter les leurs. Quand les deux femmes sont parties, j’ai demandé à Shirley si elle les connaissait. «Pas pantoute.» J’étais persuadée qu’elle parlait à des membres de sa famille tellement la discussion coulait naturellement entre ces trois-là. Je me sentais bien petite dans mes shorts, comme un «bébé femme». Elles avaient tant à raconter, tant à m’apprendre.
Ç’a m’a permis de mettre le doigt sur le malaise que je ressens depuis que Marie-Claude Barrette a annoncé que sa quotidienne à TVA ne revenait pas. Qu’on tire la plogue sur cette émission relève de la décision du diffuseur. Ça fait partie de la game, comme on dit. Sauf que l’animatrice, dans la foulée de cette annonce, a évoqué le fait que l’auditoire de certaines émissions de télé ne serait pas «payant» pour la tranche d’âge des 25-54 ans, celle qui attire les annonceurs. J’ai le motton depuis.
Marie-Claude expliquait que les normes publicitaires avaient été décidées il y a fort longtemps et qu’on aurait tout intérêt à les revoir vu qu’on n’est pas mort à 54 ans, que l’on continue à être des citoyens allumés, des consommateurs avertis. J’ai appelé ma mère, une femme dans la soixantaine, pour savoir ce qu’elle pensait de tout ça. Elle était évidemment choquée, pour ne pas dire en beau joualvert. «C’est comme si, après 55 ans, on arrêtait de vivre. On en a encore des projets, maudit. On a encore des rêves, on a encore des choses à faire et à dire.»
Et il y a eu ces merveilleuses femmes à Tout le monde en parle, Suzanne Loiselle et Marie-Paule Lebel. Elles étaient accompagnées de ma collègue Noémi Mercier, qui signe ces jours-ci un documentaire que je vous invite à voir: Évincés : les aînés contre-attaquent. Ça parle de la bataille que mènent les locataires de Mont-Carmel pour ne pas être évincés de leurs logements. J’étais enchantée d’entendre Suzanne et Marie-Paule défendre les droits des aînées avec autant de verve. Oui, elles ont été militantes toute leur vie. Mais ça fait du bien de voir des femmes de cet âge-là tenir un tel discours à la télévision à heure de grande écoute.
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Je vais paraphraser Marie-Claude Barrette, au moment de son départ. Elle a fait référence à la discussion qu’on est en train d’avoir, collectivement, sur la diversité. La diversité des corps, des genres, des cultures, etc. Mais s’il y a une diversité qu’on ne voit nulle part, c’est celle des âges. Je ne peux être plus en accord avec elle.
Je reviens à ma rencontre de ce dimanche. Avec l’animatrice Danielle Laurin, on a jasé du fait que les thématiques que j’aborde dans mes livres et dans ma vie médiatique choquent souvent des gens. C’est vrai. Mais le plus intéressant, ç’a été le bout de la discussion où on a parlé des femmes plus vieilles. Ces femmes-là sont souvent pas mal moins choquées par mes histoires que les femmes plus jeunes. On a essayé de se demander pourquoi. Je l’ignore. C’est juste ce que je peux observer dans mon quotidien.
Peut-être parce qu’elles ont tout vu et tout vécu? Un moment donné, tu expérimentes l’existence et tu te rends compte que tout n’est pas noir ou blanc. Tu entres dans le merveilleux monde de la nuance et de l’empathie, un monde où tu peux pardonner aux gens de ne pas être parfaits 24 heures sur 24.
Peut-être que les personnes plus âgées n’en ont rien à battre de ce que les autres pensent et disent d’elles? Le bien et le mal ne doivent plus avoir grand pogne sur eux autres. Rendu là, chacun sait que la vie, c’est très très très compliqué.
Je regardais les madames et les monsieurs, dans l’assistance, et j’avais l’impression qu’ils étaient arrivés à cette époque bénie de l’existence où tu as terminé de chercher la validation dans le regard des autres. Fini de se demander si on été un bon père, une bonne mère, un bon mari, une bonne épouse, un bon ou une bonne amie. De toute façon, ce qui est fait est fait.
À la fin de l’entretien, un homme s’est avancé vers moi. Il voulait me faire signer un exemplaire de La reine de rien. «C’est pour ma mère», qu’il a dit. «C’est une fan de votre écriture, elle a adoré La déesse et elle lit tout ce que vous faites.» Je lui ai demandé le nom de sa maman. «Suzanne. Et elle a 100 ans.» J’ai quasiment pleuré de beau. 100 ans.
Je trouve ça plate qu’on efface les personnes qui vieillissent de l’espace public. Pourquoi n’ont-elles pas leur place? Parce qu’elles vendent moins bien la dernière voiture à la mode ou la prochaine destination voyage?
On devrait se demander pourquoi la vieillesse, on trouve ça laid. Laid au point de dire que ça ne peut rien vendre. Peut-être que si on commençait à se poser ces questions-là, on serait moins obsédés à l’idée de ne pas vieillir? On verrait ça davantage comme un privilège qu’une fatalité?
Ceux qu’on appelle les vieilles personnes ou qu’on désigne hypocritement comme «l’âge d’or» ont tant à nous dire et à nous transmettre. Et on fait tout pour les balayer loin loin, comme si c’étaient des mousses de t’sour de divan.
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