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«Sam a toujours été plus difficile que les autres. Déjà, bébé, ce fut long avant qu’il parle. Il a doublé sa première année. D’ailleurs, il y a toujours eu des enjeux supplémentaires avec cet enfant-là.»
Les branches d’arbres gelés tombaient encore sur une partie de la province lorsque Émilie Simard m’a écrit pour me parler de son fils Samuel.
Je connais Émilie. On a été au secondaire ensemble. Nous n’étions pas vraiment amies à l’époque et on ne s’est plus jamais revues par la suite. Je vous le dis, par souci de transparence. Je connais Émilie. Et je savais, à cause de Facebook, qu’elle avait eu des enfants. Trois, pour être plus précise.
Samuel est son petit dernier. Il fréquente l’école Riverside, à Arvida, au Saguenay. C’est la seule école publique anglophone de la région. Ce détail est important. Je joins Émilie au téléphone au moment où l’électricité revient sur ma rue. On jase un peu du verglas. Les gens du Saguenay sont sensibles aux catastrophes naturelles. Je suis sensible à la sienne. Parce que c’est ça qu’elle vit comme mère depuis des semaines, une catastrophe personnelle, un cataclysme familial.
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«Sam a toujours été plus difficile que les autres. Déjà, bébé, ce fut long avant qu’il parle. Il a doublé sa première année. D’ailleurs, il y a toujours eu des enjeux supplémentaires avec cet enfant-là.» Émilie s’est donc battue pour aller chercher des diagnostics: dysphasie légère, trouble du déficit de l’attention et trouble d’opposition.
Avec le père du petit, quand ils ont su ça, ils ont pensé à le changer d’école. Mais, avec la direction, une décision a été prise. « On a décidé de le garder là. C’est sa culture et c’est impossible pour lui d’être scolarisé dans les deux langues ailleurs au Saguenay. En plus, tous ses amis sont là. »
Samuel, il aime l’école, une chance selon son médecin traitant. Ce n’est pas tous les enfants dans sa condition qui apprécient les aléas de la vie académique. Sam, oui.
Et, selon sa mère, il écoute généralement bien en classe et réussit à l’école. C’est du côté de son comportement que le bât blesse. Il s’oppose, encore plus depuis qu’il est en sixième année. La préadolescence a frappé, comme on dit, mais dans le cas du jeune garçon, cela occasionne beaucoup de problèmes.
Il s’oppose. Beaucoup. Et de façon problématique. Sa mère me confie qu’il y a eu plusieurs incidents avec son fils. En début d’année, il y aurait eu un événement à la récréation. Sam a été amené chez la directrice. Devant la porte, il a voulu mettre ses écouteurs, ce qu’on lui a interdit. S’en est suivi un échange où il a été réprimandé. Le petit voulait quitter l’école, il voulait retourner chez lui. Il aurait foncé dans la directrice pour pouvoir sortir de la pièce.
Un geste assez grave, j’en conviens. L’école a appelé la police. Samuel a été suspendu environ une semaine. Des agents l’ont rencontré pour le sensibiliser à la violence. Ses parents étaient d’accord avec ça.
Sam est retourné à Riverside après sa suspension, mais les choses ont continué à se dégrader. Ça n’allait plus du tout. Je ne décrirai pas ici tous les incidents, mais disons que les relations entre le garçon et la direction se sont grandement détériorées.
Samuel avait un langage ordurier, il faisait de mauvaises blagues et avait des altercations avec des profs. Bref, ça ne se passait pas bien du tout et le jeune se retrouvait souvent suspendu de l’école.
La goutte qui a fait déborder le vase, c’est une activité parascolaire organisée par l’établissement scolaire en décembre 2022. L’activité en question : un sleepover à l’école.
On a dit à Samuel que s’il avait une belle semaine, il pourrait participer à la fête. Mais, finalement, malgré un bon comportement, un prof lui a dit qu’il ne pouvait pas venir, qu’il ne voulait pas le gérer. Des propos maladroits qui, par la suite, ont valu des excuses aux parents de Samuel de la part de la direction.
Sauf qu’il n’a quand même pas pu y aller, à cette fameuse soirée. Ses amis le textaient pour lui raconter un peu ce qu’ils faisaient. «Sam était chez son père ce soir-là», m’a expliqué sa mère. «Il a voulu faire une blague qu’il les espionnait par la fenêtre et qu’il allait les prendre en photo.» Des élèves ont eu peur et l’école prétend que le fils d’Émilie a menacé les jeunes présents au sleepover. Tout ça s’est passé sur Snapchat.
J’ai vu quelques captures d’écran. Je n’ai pas vu de menace. Juste des propos maladroits d’un petit gars fâché de ne pas avoir été invité au party et qui veut sans doute attirer l’attention et faire du trouble. Ce n’est pas très brillant, mais ce ne sont pas des menaces. La mère a demandé à l’école de lui fournir les captures d’écran où son fils aurait menacé des élèves. L’école a refusé de les lui fournir.
À la suite de la soirée pyjama, l’école a suspendu Samuel. Une autre fois. Il fut une nouvelle fois mis à l’écart, et pour plus qu’une semaine, le temps que la direction fasse son enquête.
Depuis, l’école n’a pas voulu reprendre le jeune à temps plein. On lui a d’abord proposé de lui enseigner à distance deux heures par semaine.
Ici, il est important de préciser que jamais la mère n’essaiera, pendant notre conversation, d’excuser complètement son garçon. Elle sait que son fils n’est pas parfait, elle sait que son fils a des torts, elle sait que son fils a des problèmes de comportements et qu’il a besoin d’aide.
Elle ne se met pas la tête dans le sable. Elle est proactive et elle fait des démarches, allant même jusqu’à proposer des plans d’intervention à l’école Riverside. Mais l’aide qu’elle tente désespérément d’obtenir n’arrive pas. Et c’est pour en obtenir qu’elle a décidé de m’écrire.
Pour résumer l’affaire, on est face à un enfant de 12 ans qui doit relever des défis majeurs, et qui est en droit d’obtenir des services de la part de son école et de la commission scolaire.
Et au lieu de faire ce qu’il faut pour l’aider à obtenir des ressources, on isole le petit. «La suspension semble être devenue le plan d’intervention de mon fils», dit Émilie Simard. «On me dit à mots couverts que son cas est trop difficile à gérer, que la commission scolaire n’a pas les ressources.»
Les jours de suspensions s’accumulent, donc. Pourtant, avec ce que l’on sait du diagnostic de l’enfant, Samuel serait en droit d’en obtenir, des services. Et, selon la loi sur l’instruction publique, l’école est tenue de le scolariser adéquatement, de développer son plein potentiel. Pas juste de le «parker» là et de lui offrir le strict minimum.
Depuis le 15 mars, Samuel n’a aucun soutien pédagogique. Ses parents ont dû se battre pour obtenir ses livres et l’école lui a fourni un ordinateur qui, détail ironique, ne fonctionne pas. Désormais, on propose à sa mère de le scolariser trois jours semaines : des demi-journées et des journées complètes, seul, avec un prof. Mais l’école, c’est un milieu de vie. Ce n’est pas juste apprendre l’anglais et les maths. Ça sert aussi à autre chose. À tellement d’autres choses.
Quand je lui demande pourquoi elle ne change pas tout simplement Samuel d’école, Émilie me répond qu’elle est là-dedans. Elle a même fait les démarches, car elle comprend bien que, pour son fils, l’idée même de retourner à Riverside est difficile.
«Il avait hâte de recommencer après sa première suspension. Maintenant, ce n’est plus le cas. Il se sent étiqueté. Le faire recommencer ailleurs sera difficile. Et ce ne sera pas en anglais. Samuel devra renoncer à une partie de ce qui fait son identité pour pouvoir aller à l’école.»
Émilie n’est pas dupe. «Il a déjà des difficultés, qu’est-ce que ça va être maintenant qu’il a été rejeté ? Et dans une autre école, aura-t-il accès à des ressources ?»
Ce qu’Émilie Simard demande, c’est que son fils soit compris dans sa maladie, qu’il soit traité humainement par l’école et la commission scolaire, afin que l’on mette des ressources et des moyens en œuvre pour aider son fils.
Émilie a l’impression qu’on traite son enfant comme un criminel, quelqu’un qui ne respecte pas la justice, alors qu’il est en grande détresse. Est-ce que c’est parce que c’est une école anglophone qu’il y a moins de service ? C’est permis de se poser la question.
J’ai demandé à Vincent Laliberté, secrétaire général de la commission scolaire Central Québec, s’il avait l’impression que c’était plus difficile pour des établissements anglophones de trouver des ressources pour aider des élèves en difficulté.
Il m’a assuré avoir les ressources financières nécessaires pour le faire. «Mais trouver la personne qui doit s’asseoir avec cet élève et l’accompagner, c’est un enjeu en ce moment». M. Laliberté fait allusion à la pénurie de main-d’œuvre. Est-ce que la personne doit être anglophone ? «On essaie de trouver quelqu’un de bilingue.» Je précise que Samuel habite à Saguenay et parle très bien français. Long silence. Monsieur Laliberté ne peut pas et ne veut pas commenter ce dossier en particulier.
Fair enough. Je lui demande juste s’il trouve que cela contrevient à la loi sur l’instruction publique qu’un garçon de sixième année ait été suspendu 50 jours depuis le début de l’année scolaire. Encore une fois, long silence et refus de commenter.
J’en reviens à Émilie Simard et à son fils. Le but de sa démarche n’est pas qu’on prenne son fils en pitié ni de dire que celui-ci est parfait et que l’école est méchante. Non.
La famille se sent abandonnée par le système. Et le petit se sent victime d’injustice. Cet enfant-là aurait besoin d’être aidé, il aurait besoin que le système ait de l’empathie. Au lieu de ça, le système est en train de le broyer.
Samuel a été suspendu 50 jours cette année. Cinquante. Jours. C’est une catastrophe.
L’école Riverside n’a pas répondu à ma demande d’entrevue