À Brossard, tout le monde connaît Maxime, surnommé affectueusement (ou ironiquement) «Maximillion». Grand amateur de golf et de Rolex, Max possède une superbe maison de style toscan, évaluée à 2,5 millions de dollars, avec une allée en pavé uni pouvant accueillir six voitures. Enfin, «accueillir», c’est un bien grand mot: seule sa vieille Lexus 2010 y dort, ses pneus arrière «usés à la fesse», comme dirait son garagiste. Le reste du stationnement est vide, sauf quand ses ados empruntent le Jeep de leur mère pour aller chiller au Tim Hortons.
Max est ce qu’on appelle un «pauvre millionnaire» : sur papier, sa valeur nette dépasse le million de dollars, mais dans son compte bancaire, il y a rarement plus de 2500 $ à la fin du mois. Son REER n’a jamais excédé 20 000 $, son CELI est vide depuis 2019, et il n’a possédé aucune action ou FNB. Chaque mois, il jongle entre sa marge hypothécaire, une carte de crédit platine (mais toujours au max), et une marge personnelle à 10,99 %. Il ne paie que des intérêts, et sa stratégie semble être: « Je vais refinancer… quand ça va remonter. » Sauf que sa cote de crédit s’enfonce et SES taux montent, et sa dette aussi.
La maison, ce coffre-fort verrouillé
Le cas de Max n’est pas unique. De nombreux Canadiens vivent dans des propriétés ayant pris énormément de valeur depuis 20 ans. Mais cette richesse est immobilisée, inexploitable sans emprunt ou vente. C’est le syndrome du «house rich, cash poor». Selon Statistique Canada, près de 42% des Canadiens âgés de 55 ans et plus ont la majorité de leur patrimoine dans leur résidence principale, mais peu en liquidités.
Voici un cas typique :
- Maison : 1 200 000 $ (valeur nette après hypothèque : 800 000 $)
- REER : 45 000 $
- CELI : 12 000 $
- Compte bancaire : 4000 $
- Cartes de crédit : - 15 000 $
- Marge hypothécaire : - 75 000 $
Valeur nette : environ 771 000 $Liquidités disponibles rapidement : Niet. Des vapeurs de cents.
Le problème? Cette richesse n’est pas utile pour faire l’épicerie, payer un traitement de canal, ou même pour investir. Les institutions financières, elles, adorent ces profils parce qu’elles peuvent leur prêter facilement à des taux juteux. Ces faux riches de gyproc font le bonheur des banquiers.
Petites vedettes, grosses dettes!
Le concept du «pauvre millionnaire» ne s’applique pas qu’aux gens de la classe moyenne supérieure. Nicolas Cage, acteur oscarisé, a dû vendre plusieurs de ses propriétés luxueuses, dont deux châteaux en Europe, parce qu’il ne pouvait plus payer ses impôts. Pourtant, il avait une fortune immobilière colossale.
Autre exemple: Mike Tyson, dont la maison du New Jersey valait plus de 3 millions, mais qui a déclaré faillite en 2003. Sa situation était caricaturale: pas de liquidités, beaucoup de dépenses somptueuses… et une gestion catastrophique.
Même dans le monde artistique québécois, on en connaît de ces highly leveraged — Ils ont autant d’actifs que de dettes, avec très peu de cash disponible.
Pourquoi ces gens deviennent-ils vulnérables?
- Mauvaise diversification : tout miser sur l’immobilier expose à des risques systémiques (baisse des prix, hausse des taux, fiscalité accrue).
- Illusion de richesse : avoir une grosse maison crée une pression sociale pour maintenir un certain niveau de vie.
- Dépendance au crédit : ces individus doivent emprunter pour voyager, acheter une voiture, ou financer des imprévus.
- Retraite menacée : sans REER ni CELI bien garnis, ils doivent vendre ou hypothéquer leur maison pour financer leur retraite.
L’ironie? Les gens comme Max paient pour leur propre richesse. La marge hypothécaire sur sa maison coûte 7,2 % d’intérêt annuel. Sur un solde de 75 000 $, c’est plus de 5 400 $ par an juste en frais financiers. Et ça, c’est sans inclure les rénovations, les taxes foncières (plus de 12 000 $ par an à Brossard) et les frais d’entretien. En comparaison, quelqu’un qui a 800 000 $ dans un FNB d’obligations ou d’actions peut générer entre 24 000 $ et 40 000 $ de revenus passifs annuels, sans avoir besoin de s’endetter.
Sortir du piège du «pauvre millionnaire»
- Évaluer la liquidité réelle de son patrimoine: avez-vous plus de «briques» que de «billets»?
- Repenser l’habitation: une maison de prestige peut être un gouffre financier. Parfois, vendre ou réduire la taille libère des liquidités précieuses.
- Construire des actifs liquides: REER, CELI, FNB, comptes non enregistrés.
- Mettre fin au crédit passif: cesser de payer uniquement des intérêts, et rembourser le capital.
- Se bâtir un budget réaliste: les apparences n’ont jamais payé une retraite.
Max de Brossard aura beau montrer fièrement sa piscine à débordement aux voisins et parler de ses voyages à Paris (achetés avec des points de carte de crédit), il devra bientôt faire un choix: continuer de «jouir de sa valeur» en s’endettant, ou rééquilibrer sa situation en se bâtissant une vraie indépendance financière.
Parce qu’au final, la liberté financière ne se mesure pas en pieds carrés… mais en dollars disponibles quand on en a besoin.

