Des masculinistes enragés qui appellent à la violence. Des voix conservatrices qui s’écoutent parler. Des influenceurs qui commentent de fausses nouvelles. Les balados se multiplient et leur manque de contenu, leurs dérives, m’inquiète. Est-ce que ça va prendre une police des podcasts?
Je suis la première à applaudir la multiplication des canaux de communication. Il y a une plus grande pluralité de voix, de façons de les connaître, de les entendre. Et c’est tant mieux.
On assiste à une certaine démocratisation de la communication depuis plusieurs années — et la montée de la popularité des balados s’inscrit dans cette tendance.
Se rassembler autour d’un micro pour dénoncer, critiquer, pour trouver des solutions, revendiquer, militer, braquer les projecteurs sur des enjeux importants, sur des tendances (passionnantes ou affolantes), bref il y a plein de belles avancées sociétales dans ces prises de position citoyennes. Je ne peux pas être contre.
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Sauf que.
Sauf qu’avec cette prolifération de podcasts, on assiste à l’intensification du gros n’importe quoi. Je me réjouis que tous puissent donner son opinion — mais cela me désole en même temps.
Extrême droite
Sur mes réseaux sociaux, je vois passer des clips (les balados sont de plus en plus souvent filmés) dans lesquels sont diffusés des contenus navrants, voire troublants.
Je pense entre autres aux propos masculinistes hyper violents de podcasteurs comme Nick Fuentes (1 million d’abonnées sur X). Qualifié de «néonazi qui monte», cet extrémiste déclare sans sourciller que les femmes « doivent se taire », « tuent des bébés » et « aiment être violées » et que « la plupart des Noirs doivent être emprisonnés ».
À vomir.
Il fait paraître nuancé Alex Hormozi, un entrepreneur aux allures de gourou, qui prodigue la plupart du temps des conseils financiers. Parfois, l’homme d’affaires s’avance sur le terrain des relations hommes/femmes et c’est là que ça dérape… solidement.
Méchant féminisme
Dans un extrait, il explique qu’un homme de 40 ans peut très bien coucher avec une fille de 15 ans puisque cela était acceptable il y a deux cents ans — alors pourquoi pas maintenant ? C’est une façon détournée et peu subtile de pointer du doigt le wokisme (encore lui), responsable selon ces bien-pensants de droite de tous les maux actuels qui plombent notre monde.
Ce même wokisme est pointé du doigt par l’animateur d’un podcast, Ross Douthat, qui a reçu deux femmes aux idées conservatrices (Helen Andrews et Leah Libresco Sargeant) pour expliquer à quel point «les femmes ont tué le monde du travail».
Vous avez bien lu. En 2025, oui, oui.
Financé par le prestigieux New York Times, le balado Interesting Times compte plus de trente épisodes. Dans le plus récent, diffusé la semaine dernière, le trio échange sur les répercussions négatives du méchant féminisme. Le titre du podcast en question Did Women Ruin the Workplace ? a fait grand bruit — il a été par la suite modifié pour Did Liberal Feminism Ruin the Workplace ? .
Mais cela ne change pas grand-chose au fond.
Clichés misogynes
Et le fond, il est grave. On y parle d’une politique de genre de droite, on y accumule les clichés misogynes (par exemple, on y dit que le féminisme a chassé les « vertus masculines » des institutions et la « féminisation » des milieux de travail a engendré le « wokisme ») et les stéréotypes envers les femmes (elles sont trop émotives, elles aiment le commérage et elles fuient les conflits).
Bref, on s’en donne à cœur joie pour blâmer les femmes, leur présence au travail et le féminisme en général au lieu de contester les conditions de travail, les iniquités persistantes et les structures de pouvoir en place.
Bonjour le recul !
Tout ça dans la même semaine où la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum se fait agresser en pleine rue, en plein jour.
Je n’ai pas terminé l’heure d’écoute de l’épisode, je l’avoue. Trop éreintant, décourageant, frustrant.
Qui surveille?
Mais une question m’habite depuis : à quand une police des podcasts ?
Le contenu diffusé doit se conformer au cadre légal en place pour ceux tenus à la radio ou à la télé (pas de diffamation, de calomnie, pas de harcèlement ni de discours haineux, par exemple) même si aucun organisme n’est dédié à la surveillance de ce type de contenu.
Au Québec, on peut diffuser ce qu’on veut puisqu’aucune licence n’est nécessaire pour le faire. Et les balados ne sont pas soumis au CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes). Bref, c’est le free-for-all.
Quand on sait que la popularité des balados est en forte croissance1, particulièrement chez les jeunes 2, il y a de quoi s’inquiéter.
Pour le moment, il n’y a aucun garde-fou du côté des podcasts. Et entre la liberté d’expression de tous et les débordements, la frontière est mince.
1. Selon l’Institut de la statistique du Québec (ISCQ), en 2020, 27 % des Québécois ont écouté un podcast ; ce chiffre a grimpé à 33 % en 2022. Mondialement, le nombre d’auditeurs est en augmentation : estimé à 424 millions en 2022, il serait passé à 547 millions en 2024, selon la plate-forme audio Podcastle.
2. Selon l’ISCQ, 68 % des 15 à 29 ans ont écouté au moins un balado au cours de l’année en 2024 ; en 2018, 24 % des 15 24 ans et 32 % des 25 34 ans) l’avaient fait.
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