Samedi, plus de 50 000 personnes ont marché dans les rues de Montréal pour dénoncer une «dérive autoritaire» de la CAQ et le projet de loi 3. La manifestation vient couronner plusieurs semaines durant lesquelles les dirigeants syndicaux, en particulier la présidente de la FTQ, Magali Picard, ont eu des mots très durs envers le ministre Boulet, son gouvernement et leurs intentions de légiférer sur plusieurs questions liées à la gestion syndicale.
Ce débat est volontaire de la part du gouvernement. En déposant son projet de loi visant à améliorer la transparence, la gouvernance et le processus démocratique de diverses associations en milieu de travail, le ministre savait qu’il amorçait une chicane politique avec le monde syndical pour illustrer son virage à droite. Son pari: que la population est fatiguée des méthodes des associations de travailleurs au Québec. Pour s’y opposer, les syndicats doivent absolument adopter le bon fond et le bon ton pour obtenir l’écoute de la population.
Trouver le bon fond
Il est clair que les syndicats doivent trouver un meilleur angle pour que la population se mobilise à leurs côtés au cours des 10 prochains mois. Jusqu’à maintenant, le gouvernement a habilement présenté son intention d’augmenter les obligations de reddition de comptes des syndicats envers leurs membres. D’ailleurs, plusieurs arguments ont été offerts sur un plateau d’argent par les syndicats eux-mêmes. Allocations de dépenses abusives, grèves à répétition, voyages à Dubaï et plusieurs autres anecdotes sont venus alimenter le narratif du gouvernement pour justifier un meilleur encadrement des dépenses de ces organisations, souvent perçues comme l’opposition non officielle du parti au pouvoir. Cependant, il ne faut pas être dupe.
Lorsque le gouvernement affirme qu’il n’est pas normal qu’un syndicat s’oppose à la loi 21 ou prenne des positions sociétales, il va trop loin et ouvre la porte à la critique. D’ailleurs, Magali Picard est plutôt convaincante lorsqu’elle évoque le désir du gouvernement de museler les contre-pouvoirs.
Il est vrai que, si les syndicats n’avaient pas défendu les minorités dans le passé, nous n’aurions probablement pas de loi sur l’équité salariale, de congés parentaux pour les hommes ou de congés de maternité. Il serait donc plus intéressant d’entendre les syndicats expliquer ce que les positions actuelles du gouvernement les auraient empêchés de changer dans notre société, que de tenter de nous faire croire que nous sommes au bord de la dictature. Trop, ce n’est comme pas assez.
L’importance du bon ton
Une fois qu’on aura trouvé les sujets qui interpellent l’intelligence des citoyens et les mobilisent, il faut s’assurer d’adopter le bon ton dans le débat si l’on veut convaincre. Personnellement, je n’ai aucun problème à ce qu’un dirigeant ou une dirigeante syndicale refuse de serrer la main d’un ministre parce qu’il ou elle ne veut pas faire preuve d’hypocrisie. Je pense même qu’il peut être acceptable, dans le respect, de «crinquer ses membres» dans une assemblée partisane. Toutefois, lorsqu’on en vient à traiter un ministre «d’innocent» à l’Assemblée nationale, on prend le risque qu’une majorité de la population cesse d’écouter.
Depuis plusieurs années, le monde syndical a fait des efforts pour moderniser son leadership, et cela fonctionne dans plusieurs cas. Il ne faudrait pas que les vieux réflexes refassent surface. La société a changé ; je ne pense pas qu’elle accepterait à nouveau le ton d’autrefois.
Actuellement, le gouvernement atteint des sommets d’impopularité, mais il n’y avait que quelques dizaines de milliers de personnes dans la rue samedi. À titre de comparaison, on en comptait plus de 150 000 pour défendre les étudiants lors du Printemps érable en 2012, ou près de 500 000 à la manifestation pour le climat de 2019. On est donc bien loin d’une mobilisation historique contre le gouvernement.
Si les syndicats veulent que le gouvernement recule ou que les prochains apportent des correctifs à ce qui sera adopté, ils doivent s’assurer de ne pas perdre définitivement l’appui de la population. Ce qu’ils défendent est juste, noble et nécessaire, mais ils doivent démontrer que leur véhicule est toujours le bon. Les prochaines semaines nous diront si le gouvernement a bien fait de les affronter ou s’il a provoqué un réveil syndical qui pourrait lui être fatal.
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