Chroniques

La fièvre politique du Tylenol

«On est en train d’inquiéter des millions de femmes enceintes pour une hypothèse non confirmée.»

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(Montage Noovo Info et The Associated Press)

Les manchettes inquiéteront les futures mamans: l’acétaminophène, mieux connu sous le nom de Tylenol, serait associé à l’autisme lorsqu’il est utilisé abondamment pendant la grossesse. Ça sonne sérieux — surtout quand le président en personne est là pour bien appuyer la gravité du moment.

Mais qu’a-t-on vraiment annoncé? Pas grand-chose. Sinon que la FDA, l’agence américaine qui encadre l’usage des médicaments, a publié un communiqué annonçant qu’elle va bientôt ajouter une mise en garde sur les bouteilles, dont le résumé tiendra sans doute en deux phrases...

  • Une «association possible» entre l’acétaminophène et l’autisme;
  • Prenez-en le moins possible, le moins longtemps possible et seulement quand c’est nécessaire.

Pour la deuxième partie, les médecins et infirmières le répètent déjà depuis toujours.

Pour la première partie... désolé à la FDA, mais elle ne repose pas vraiment sur les données actuelles.

D’où sort cette idée?

Il est vrai que, depuis quelques années, des études d’observation ont fait état de cette «association possible» entre la consommation répétée d’acétaminophène en grossesse et un diagnostic ultérieur d’autisme chez l’enfant.

Attention: d’abord, ce genre d’études ne prouve pas de lien de causalité. «A est associé avec B» ne veut pas dire qu'«A cause B».

Mais surtout, la plus vaste et récente étude à cet égard a dit le contraire. Publiée en 2024 et portant sur 2,5 millions d’enfants suédois, elle comparait les enfants ayant été exposés à l’acétaminophène in utero ou non. Résultat: quand on tient compte des facteurs confondants possibles, l’association avec l’acétaminophène disparaît.

Ça pourrait être un cas de «facteurs confondants» : par exemple, une fièvre maternelle prolongée (due à des infections virales) pousserait à la fois à prendre de l’acétaminophène et produirait un taux plus élevé de certains problèmes neurologiques.

Parce qu’une telle fièvre, surtout en début de grossesse, peut réellement nuire au développement neurologique du fœtus.

Bref: il est difficile de montrer le médicament du doigt quand d’autres explications plus plausibles existent.

Et… si c’était vrai?

Admettons que, malgré tout, l’association mentionnée soit réelle (ce qui n’est pas démontré). Et admettons que ce soit vraiment une cause, ce qui est encore moins évident. On a souvent parlé d’un risque relatif augmenté d’environ 20%. Ça paraît gros, mais concrètement, ça veut dire quoi?

Si on fait le calcul à partir de données canadiennes, il faudrait environ 250 grossesses exposées de façon importante pour générer un cas additionnel d’autisme.

Juste pour comparer, le risque d’une fièvre importante en début de grossesse correspond à un risque plus élevé de… 20% à 30% de troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant, comme l’autisme ou le TDAH. Ça ressemble, non?

Au fait, pour ce qui est des risques de malformations congénitales, notamment des anomalies du tube neural, des malformations cardiaques et des fentes orofaciales, on parle plutôt en cas de fièvre en début de grossesse d’un risque accru de… 1500% à 3000% (si on aime les gros pourcentages)!

La science… ou la politique?

Au pire, le risque lié à l’acétaminophène serait nul ou de faible ampleur. Autrement dit, on est en train d’inquiéter des millions de femmes enceintes pour une hypothèse non confirmée.

Mais alors pourquoi la FDA décide-t-elle d’ajouter cette mise en garde? Officiellement, par prudence. Officieusement, difficile de ne pas y voir un parfum politique.

Il faut dire qu’aux États-Unis, tout ce qui touche l’autisme est hautement sensible. Hasard ou pas, en avril dernier, le candidat à la présidence Robert F. Kennedy Jr. avait promis de «trouver la cause de l’autisme» devant les caméras, rien de moins. Et justement, septembre achève... Quelle coïncidence!

La FDA sort donc une formule tiède — «association possible» — qui, en l’ajoutant noir sur blanc, entretiendra une impression encore non fondée d’un danger. Est-ce de la science? Pas sûr. De la politique? Je vous laisse répondre.

Et maintenant, que faire?

L’acétaminophène est pourtant le médicament antipyrétique le plus efficace et le plus sécuritaire pendant la grossesse, alors que la fièvre est, on l’a vu, potentiellement néfaste.

Alors, si vous êtes enceinte et que vous hésitez, la recommandation est simple : soignez votre fièvre, avec un médicament fort probablement sécuritaire.

Mais, comme pour tout médicament, surtout en grossesse, visez la dose minimale efficace, la durée la plus courte, et seulement si nécessaire. Comme pour tout autre médicament, et surtout en grossesse.

Une autre règle simple? Derrière les titres et communiqués «alarmants», il y a souvent plus de politique que de science. Surtout à notre époque et surtout quand ça vient du Sud.