C’était dans une toute petite ville de l’Ontario, où les hockeyeurs sont traités comme de la royauté et où la culture du viol, elle est dans l’air qu’on respire. Il faut l’accepter ou déménager, c’est pas plus compliqué.
Durant le procès, – qui, finalement, était plutôt le sien – E.M a décrit sa version de la nuit d’horreur avec les joueurs de Hockey Canada. Elle a dit comment elle est partie d’un bar avec un homme vers une chambre d’hôtel, avant qu’une dizaine d’autres y fassent irruption. Nue, vulnérable, intoxiquée, séparée de son corps, sur pilote automatique, elle racontera comment elle se sentait confuse et inconfortable, comment ça semblait être une blague pour eux, comment ils riaient ensemble, elle dira s’être fait agresser à répétition, prisonnière de la chambre, elle dira qu’ils tenaient entre leurs mains des bâtons de golf, des bâtons de hockey, que l’un d’entre eux lui a demandé si elle pouvait en introduire un au complet en elle.
«Ni crédible, ni fiable», a dit la juge de son témoignage.
Une trahison
Je suis le hockey depuis que je suis petite. J’ai rarement raté une partie, et quand je dois en manquer une, je suis le résultat toute la soirée du coin de l’œil. La décision de la Ligue nationale de hockey de réintégrer les cinq hockeyeurs acquittés d’agression sexuelle vient briser quelque chose en moi. Et je vois mal comment je pourrai à nouveau aimer le sport.
Les filles, on avait déjà peur d’être agressée par celui avec lequel on décide de partir une soirée. Cette histoire-là a libéré une nouvelle crainte en nous. En fin de compte, se faire agresser par celui avec lequel on quitte un bar, c’est l’un des moins pires scénarios.
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Ce ne sera plus jamais comme avant. C’est comme si, cette fois, on se fait trahir par un ami proche. Je ne saurais l’expliquer autrement. Voir la ligue mépriser ainsi les femmes, c’est quelque chose comme un point de non-retour.
À chaque fois qu’un homme est accusé d’agression sexuelle, on se fait dire qu’on a détruit sa vie et sa carrière, tout ça pour un «mensonge», un «malentendu», une «erreur de jeunesse». Tout ça avant de les regarder reprendre leur vie et leur carrière exactement où il les avait laissées.
Jouer dans la LNH, c’est un privilège accordé à un infime groupe d’athlètes. Mais ça reste aussi une business pour attirer des foules. Bien naïvement, je croyais qu’on se tiendrait loin de Formeton, Foote, McLeod, Dube et Hart, non pas par bonté d’âme, mais enfin, parce que le sport demeure un spectacle et qu’on souhaite que les gens continuent de payer pour le regarder. Et oui, à quelque part, je croyais qu’il y avait une once d’humanité dans ce sport que j’aime.
Aujourd’hui, j’en comprends que la ligue peut se permettre de se passer des femmes pour payer leur salaire.
Je suis peut-être naïve, mais pas assez pour croire que ce point de non-retour, il concerne les hommes. Parce qu’il ne faut pas s’y méprendre: la ligue avait le choix. Les clauses de moralité sont monnaie courante dans le monde du sport professionnel. Si elle a pris cette décision, c’est qu’elle sait comme moi que les hommes qui aiment ce sport l’aiment assez pour passer outre la sécurité des filles. Et qu’ils seront tout de même dans les gradins et devant leurs écrans au début de la saison.
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