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Jade (nom fictim) était une adolescente comme toutes les autres, elle faisait beaucoup de sport, plusieurs activités avec sa famille avaient beaucoup d’amis. Lorsqu’elle avait à peine 18 ans, elle a quitté pour une fin de semaine à Toronto dans des circonstances nébuleuses. C’est là que le cauchemar a commencé, pour elle, et pour sa famille. Elle était devenue l’esclave d’un violent proxénète.
«Il n’y avait pas de signes avant-coureurs... Ça nous a frappés en plein visage… [Elle] le faisait par peur, parce qu’elle était sous l’emprise d’un gang de rue», a raconté le père de Jade.
On doit protéger l’identité des parents de Jade car ils craignent toujours pour leur sécurité. Des événements bouleversants se sont produits à l’intérieur de leur résidence.
Crédits photo: Noovo Info
«À un moment donné, ils savaient où ce qu’on restait. On a déjà eu devant la porte des patrouilleurs 24 heures sur 24. On a acheté des caméras, on avait même fait changer le trajet d’autobus à sa sœur pour aller à l’école», a ajouté le père de Jade.
Les parents de Jade se sont posé mille et une questions à savoir pourquoi leur fille est tombée dans le cycle de l’exploitation sexuelle. Il y a eu énormément de honte et de colère, sans compter les nuits blanches, ou écourtées parce que leur fille sortait en cachette, pour rejoindre son bourreau.
«On n’avait aucune ressource, aucun phare pour savoir ou qu’on s’en allait avec tout ça, on se sentait tout seul. J’en parle aujourd’hui parce que c’est un fléau de notre société et il faut en parler.»
Au-delà de la peur, de l’incompréhension, de la détresse psychologique, la culpabilisation.
Crédits photo: Noovo Info
«"Quel genre de parents on est? Qu'est-ce qu’on a manqué? C’est de notre faute...": on cherchait les raisons de pourquoi elle avait fait ça, on était anéantis. On avait de la rage. Un papa c’est là pour protéger sa fille. Là, je n’étais pas capable de la protéger, c’était dur pour ma part», a confié le père de Jade.
Les parents de Jade ont accepté de rencontrer Noovo Info pour briser les tabous entourant cette réalité, qui touche des milliers de parents au Québec.
Depuis la commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs, qui a eu lieu en 2020, Québec a annoncé 150 millions de dollars d'investissement sur cinq ans pour lutter contre ce fléau et soutenir les victimes. Mais il reste encore beaucoup de chemin à faire.
«Ça se développe tranquillement, dans presque toutes les régions du Québec il y a des ressources, mais il faut les trouver. L’exploitation sexuelle c’est comme un monde à part, qui amène des dynamiques de victimisation répétée. On est dans un cycle d’exploitation, les parents sont exposés beaucoup à ça», a mentionné Marc-André Bonneau, coordonnateur de l'équipe contre l'exploitation sexuelle du Centre d'aide aux victimes d'actes criminels (CAVAC).
En 2021-2022, le CAVAC areçu 10 081 demandes de services, excluant la référence policière, comparativement à 8901 l’an dernier. Parmi ces demandes, 1017 dossiers ont été ouverts.
Pour répondre à la demande, le CAVAC développe beaucoup plus de ressources pour accompagner les proches de victimes d’exploitation sexuelle. Ils ont mis sur pieds dernièrement un groupe de soutien spécialement conçu pour les parents. Le programme est maintenant offert à l’échelle de la province par visioconférence.
Marc-André Bonneau, coordonnateur de l'équipe contre l'exploitation sexuelle du CAVAC, en entrevue avc Noovo Info. | Crédit: Noovo Info
«On va avoir tendance à blâmer les parents et à mettre la responsabilité de la situation que son enfant vit sur eux. Ils vont vivre de la honte, de la pression et de la culpabilité, ils vont s’isoler pour éviter d’être jugés. Leur donner la possibilité de rencontrer d’autres parents qui vivent la même chose qu’eux, ça permet vraiment de briser cet isolement-là», a ajouté M. Bonneau.
M. Bonneau croit qu’il faudrait également développer davantage des outils pour aider les parents à reprendre en main son rôle de parent. Il faut miser sur l’importance de garder un lien avec son enfant, même si parfois les parents vont avoir comme réflexe de couper les liens pour se protéger.
«La meilleure façon de s’assurer que cette jeune personne-là va sortir du milieu, c’est quand elle va être prête et qu’elle va avoir besoin d’aide, elle va savoir vers qui se tourner. Il faut maintenir une relation», a-t-il expliqué.
Depuis le 1er octobre 2021, les policiers de l'Équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme (EILP) ont rencontré 406 victimes. De ce nombre, plus de 170 ont décidé de porter plainte. 119 personnes ont été arrêtées en matière de proxénétisme, de traite de personnes et de prostitution juvénile, et 35 clients ont été arrêtés.
L’EILP est formée par du personnel de sept corps policiers: le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), du Service de police de Québec (SPVQ), le Service de police de Laval (SPL), celui de Gatineau, celui de Longueuil (SPAL), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et la Sûreté du Québec (SQ).
Au Québec, 22 personnes ont été condamnées pour proxénétisme en 2022, selon les chiffres du ministère de la Justice du Québec. Un total de 99 personnes ont été condamnées pour des infractions reliées à de l’exploitation sexuelle. Le taux de condamnation pour ces infractions est à 65%, selon le ministère.
Le nombre d’infractions liées à l’exploitation sexuelle n’a cessé d’augmenter depuis 2015 au Québec. En 2020, les services de police de la province enregistraient en effet 2 209 infractions de cette nature, contre 764 en 2015. C’est donc dire que le nombre d’infractions déclarées par les services de police a plus que doublé en six ans, selon le rapport de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs.
Au sujet des victimes d’exploitation sexuelle dont les corps de police ont fourni des caractéristiques en 2019, les résultats du même rapport indiquent ce qui suit: elles sont presque entièrement de sexe féminin à 93,7 % et elles sont majoritairement âgées de moins de 25 ans. Plus du tiers (36 %) sont mineures et presque la moitié (41 %) sont âgées entre 18 et 24 ans.
Voyez le reportage de Marie-Michelle Lauzon ci-contre.