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«Je ne voulais pas revoir cet endroit»: la difficile recherche de restes humains d'enfants dans les anciens pensionnats du Québec

Malgré les cimetières, ce n'est pas nécessairement là que les enfants ont été enterrés.

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Recherche de restes d'enfants dans les anciens pensionnats du Québec Recherche de restes d'enfants dans les anciens pensionnats du Québec

Depuis trois ans, la communauté crie de Chisasibi mène des fouilles sur l’île de Fort George dans le nord du Québec, là où se trouvaient deux des plus importants pensionnats autochtones de la province.

«Ce n'est pas seulement le lieu du premier pensionnat au Québec, mais en plus, il y avait deux pensionnats. Il y avait un pensionnat catholique et un pensionnat anglican», raconte Adrian Burke, archéologue et professeur à l’Université de Montréal.

Les recherches comportent plusieurs défis pour les archéologues qui se basent sur des documents historiques, mais aussi sur les témoignages de survivants comme Marie-Louise arrivée à l'âge de six ans à l'école Sainte-Thérèse-de-l'Enfant-Jésus et son mari George Pachano, survivant du pensionnat anglican.

Souvenirs de négligence

Le couple s’est confié à la journaliste Kelly Greig de CTV News.

«Je ne voulais même pas revoir cet endroit. Je n'ai jamais voulu en parler pendant tant d'années. Je ne voulais en parler à personne parce que je pensais que personne ne me croirait», a raconté Marie-Louise.

Elle se souvient qu’on ne l’appelait jamais par son nom, mais par son numéro – 25.

«Je me suis sentie négligée. Je voulais qu'on m'appelle par mon nom. Je voulais être Marie Louise», a-t-elle déclaré.

Pas le droit de parler sa langue, pas droit non plus de s'adresser à sa mère qui travaillait comme femme de ménage et encore moins de consoler son petit frère.

«Je l'ai vu, mais je n'ai pas eu le droit de lui parler. Je sais qu'il pleurait, mais je ne pouvais pas le prendre dans mes bras. C'était très dur», se souvient-elle.

Et les élèves qui désobéissaient étaient sévèrement punis, on les enfermait dans la cave. Une conséquence qui a été soumise à Marie-Louise après avoir parlé dans sa langue maternelle avec une camarade de classe.

«Dans le noir, la porte barrée», raconte-t-elle. 

Mais il y avait pire.

«Les prêtres venaient nous retrouver dans le dortoir. Ce n’était pas bien», dit-elle.

Recherches ardues

Son mari, George Pachano, est aujourd'hui à la tête du comité chargé des fouilles, à la recherche des restes d’enfants des pensionnats. Il mentionne que de revenir sur l’île après toutes ses années lui donne le malaise, mais qu’il «doit le faire».

Le travail de recherche sur le terrain est ardu et prend du temps. L'an passé, des chiens spécialisés dans la recherche de restes humains ont pointé des sites d'intérêt.

Des géoradars sillonnent désormais le terrain et une pelle mécanique retire le remblai.

«Le géoradar nous permet d’au moins voir les fondations des bâtiments et idéalement peut-être repérer si possible des endroits où il n'y aurait possiblement des sépultures», explique M. Burke.

L'équipe se concentre présentement sur les terrains du pensionnat catholique.

L'une des complexités des recherches est de s'appuyer sur les souvenirs des élèves concernant des accidents potentiels survenus il y a plusieurs dizaines d'années.

«Des histoires comme "je pensais que j’ai vu quelque chose, mais il y a 60 ans, j’avais 5 ou 6 ans… Je ne suis pas certain", on veut être sûrs de vérifier les histoires pour les confirmer», explique M. Pachano.

Selon le Centre national pour la vérité et la réconciliation, au moins 33 enfants seraient morts dans l'un ou l'autre des pensionnats de Fort George. Les décès auraient été causés par des maladies comme la tuberculose, il y aurait aussi des cas de malnutrition et de mauvais traitements.

Mais des recherches ont été effectuées dans les archives médicales qui tentent à démontrer notamment qu'il y aurait d'autres enfants décédés pendant leur séjour au pensionnat.

«On sait qu'il y a entre 30 et 40 qui sont décédés la plupart de maladies, mais malgré d'avoir un cimetière catholique et un autre qui est anglican, ce n'est pas exactement là que les enfants sont enterrés», explique la journaliste de CTV News en entrevue avec Noovo Info.

Elle souligne d’ailleurs que même si des sépultures sont trouvées lors des fouilles, ça ne veut pas dire que le travail est terminé.

«Il y a d'autres difficiles décisions à prendre avec la nation et les familles, soit les honorer sur le site de Fort George ou les ramener à la maison», mentionne Kelly Greig.

Les chercheurs travaillent sur le terrain pro bono. D'ailleurs, l'enveloppe de 226 millions $ d'Ottawa pour soutenir les recherches sur le site des deux anciens pensionnaires de Fort George est presque à sec.

Voyez le reportage de Marie-Claude Paradis-Desfossés dans la vidéo.

Avec des informations de CTV News.

Laurie Gervais

Laurie Gervais

Journaliste