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«Les agriculteurs sont des personnes très résilientes», souligne Nathalie Roy, présidente d’Au coeur des familles agricoles. «Mais quand toute la période des récoltes est finie, quand ils prennent le temps de se reposer, c’est là que les nerfs lâchent et que la détresse embarque», explique-t-elle.
Créé en 2003, ACFA offre des services de première ligne en santé mentale auprès des agriculteurs dans neuf régions administratives de la province, en plus de gérer une maison de répit en Montérégie.
Martine Fraser est l’une des 14 «travailleuses de rang» d’ACFA. Elle-même issue du milieu agricole, elle parcourt les fermes de la Mauricie pour aller à la rencontre des producteurs qui vivent des périodes difficiles.
«Mes journées d’interventions sont peu conventionnelles», raconte-t-elle, expliquant qu’elle s’adapte aux besoins de chaque agriculteur. «Si t’as besoin de sortir de chez toi le temps d’un avant-midi, ce sera ça. Et si tu vas passer l’avant-midi aux champs, je vais y aller avec toi, et on jasera.»
Sa connaissance intime du milieu agricole est un atout inestimable, juge-t-elle, puisque les agriculteurs sont souvent plus enclins à se confier à une personne qui est familière avec leur réalité. «C’est important pour eux de se sentir compris, de se sentir reconnus dans ce qu’ils vivent, souligne-t-il. Et les enjeux qu’ils vivent, ils ne sont pas différents de ce qui se passe chez nous à la ferme.»
Peu d’études sur la santé mentale des agriculteurs ont été réalisées dans les dix dernières années. Mais depuis une trentaine d’années, plusieurs études ont révélé que les producteurs agricoles sont plus susceptibles de vivre de l’anxiété, de la dépression et des niveaux de stress élevés que les hommes dans la population générale.
Une étude publiée en 2000 et portant sur la période entre 1971 et 1987 avait par ailleurs révélé que le taux de suicide chez les agriculteurs québécois était deux fois plus élevé que celui des hommes du même groupe d’âge dans la population générale.
«Il n’y a malheureusement pas de données plus récentes», déplore Ginette Lafleur, doctorante en psychologie communautaire et directrice générale adjointe d’ACFA. La banque de données informatisées du coroner ne fournit pas de détails sur l’occupation des personnes décédées.
Dans le cadre de ses recherches, elle a toutefois pu constater que 45,6% des producteurs laitiers masculins rapportaient en 2007-2008 un niveau élevé de détresse psychologique, contre 15% à 18% chez les hommes québécois en général. Les producteurs laitiers étaient aussi beaucoup moins nombreux (31,8%) à dire bénéficier d’un «soutien social émotionnel et informationnel élevé» que l’ensemble des hommes québécois (84 à 87%).
Les facteurs de risque chez les agriculteurs sont multiples, explique l’intervenante Martine Fraser. «On peut parler de l’isolement, du nombre d’heures de travail très important, du manque de reconnaissance, autant du point de vue financier que social», énumère-t-elle.
Sans oublier que les aléas habituels de la vie personnelle ont souvent des conséquences plus complexes pour les agriculteurs, souvent à la tête d’entreprises familiales.
«Quand tu travailles avec ton père, ton frère, les problèmes de la business te suivent dans tes partys de Noël. Quand t’arrives pour te séparer, c’est pas juste une maison que tu sépares, c’est l’entreprise au complet qui est impliquée là-dedans», illustre la présidente d’ACFA Nathalie Roy.
Entre l’été désastreux, la pénurie de main-d’oeuvre et la hausse fulgurante du prix des intrants, les agriculteurs «sont de plus en plus stressés», constate Mme Roy, elle-même productrice porcine, une industrie qui vit des défis énormes depuis la pandémie.
«Nos travailleuses de rang sont présentement au maximum de ce qu’elles sont capables de donner», s’inquiète la présidente d’ACFA, anticipant la vague de demandes de l’automne.
«Il va falloir trouver les moyens financiers et les ressources humaines pour répondre à la demande», dit-elle.
Et si l’organisme bénéficie depuis 2020 d’une subvention récurrente de 400 000$ de Québec, Nathalie Roy juge ce financement insuffisant. «Les fonds commencent à être là, mais il en manque», affirme-t-elle. Selon elle, le nombre de demandes reçues par ACFA justifierait facilement l’embauche de «sept ou huit travailleuses de rang de plus».
En l’absence de nouvelles embauches, Mme Roy craint de voir les délais d’attente de l’organisme. «On n’est pas le ministère de la Santé. On n’a pas des délais chez nous d’un, deux, trois mois pour rencontrer quelqu’un, dit-elle. Parce que quand un agriculteur appelle pour obtenir de l’aide, c’est qu’il est minuit moins une.»