Début du contenu principal.
Les cheveux courts et flamboyants, le regard franc, mais fatigué, la retraitée de 75 ans cherche encore ses repères dans l’appartement de Longueuil où elle a entamé sa nouvelle vie.
Consultez notre dossier sur la guerre en Ukraine pour toutes les informations sur le conflit
À 75 ans, Zhenna a quitté son Kyiv natal neuf jours après le début de l’invasion militaire russe. Par trois fois, elle aura refusé l’invitation à venir au Canada de son fils cadet, Oleg.
«Je ne voulais pas quitter. Mon fils aîné est encore là-bas et une partie de famille aussi», explique-t-elle, simplement.
Et puis les bombardements se sont intensifiés. Le bruit des balles s’est rapproché. La peur s’est accentuée.
«[À Kyiv], je dormais avec mes vêtements, un chapeau et même avec mes bottes pour être prête à me rendre rapidement aux abris antibombe», se souvient-elle.
«J’étais fatiguée et stressée. Quand j’ai reçu un autre appel de mon fils, je me suis dit qu’il était temps de partir.»
Zhenna Smolovyk | Crédit photo - Noovo Info
Un trajet à bord d’un train bondé, une attente interminable à la frontière polonaise, un parcours en autobus et puis un autre… et un autre.
Guidée à chaque étape par son fils au bout du fil, Zhenna a finalement pris place dans un avion vers le Canada six jours après avoir pris la fuite de la capitale ukrainienne.
«Quand j’ai eu la confirmation qu’elle était dans l’avion, j’étais enfin soulagé, se souvient son fils Oleg. Je suis heureux, car je n’ai plus besoin de m’inquiéter et de l’appeler chaque heure pour savoir où elle se trouve.»
«À mon arrivée à Montréal, je n’avais plus aucune force en moi», ajoute sa mère qui a déposé ses valises dans le salon de son fils à la mi-mars.
Depuis, presque chaque soir le même cauchemar: celui de sa fuite de Kyiv.
Il y a deux ans, la mère d’Oleg est venue lui rendre visite au Canada. La famille était bien loin de se douter que le visa de tourisme obtenu lors de ce séjour leur serait d’une aide aussi précieuse.
Grâce à ce bout de papier, Zhenna a pu éviter une série d’embûches administratives, dont la prise de données biométriques.
Par précaution et par manque d’informations claires, son fils a déboursé des centaines de dollars pour lui fournir une assurance privée en attendant la confirmation que sa mère serait couverte par le Régime de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), tel que promis par le gouvernement.
«Au début, j’ai appelé partout pour obtenir des informations, mais sans aucun résultat. C’était à un moment où personne ne semblait [savoir] quoi faire», dit-il.
«Heureusement, le plus difficile c’était de l’emmener au Canada. Maintenant, je suis convaincu que nos questions vont trouver des réponses en temps en lieu», espère-t-il.
Depuis le début de la guerre, des milliers de ressortissants ukrainiens ont trouvé refuge au Canada. Les autorités canadiennes leur promettent de simplifier les démarches afin qu’ils puissent vivre, étudier ou travailler au pays pendant trois ans.
Pour Zhenna, trois ans, c’est pourtant une éternité.
«Elle ne veut pas être ici, concède son fils, Oleg. Elle veut être là-bas, dans son appartement en Ukraine, mais je ne crois pas que cela soit possible rapidement.»
Sur cette image: de la fumée s'élève après un bombardement russe en périphérie de la ville de Kyiv | Crédit photo - Vadim Ghirda pour The Associated Press
Comme la majorité des hommes laissés derrière, le fils aîné de Zhenna a pris les armes pour défendre sa patrie. À la simple évocation de son nom, sa voix se brise.
«C’est un sentiment lourd et douloureux», murmure-t-elle les yeux fermés, frappant sa poitrine avec sa paume de main.
«On tente de s’appeler tous les jours. Il me donne des nouvelles. L’important, c’est qu’il soit encore en vie et qu’il continue à défendre Kyiv», conclut la mère de famille.
Pourquoi raconter l’histoire de sa famille aux médias ? Lorsque la question est posée à Oleg, sa réponse est déjà prête.
«Je veux que les Canadiens comprennent que cette guerre n’est pas un jeu, que ce n’est pas un film, insiste-t-il avec aplomb. Les sociétés démocratiques doivent réagir pour mettre fin à la guerre le plus rapidement possible.»
Assis à ses côtés, sa mère ne souhaite qu’une chose: une victoire rapide de l’Ukraine pour pouvoir terminer sa vie à la maison près des siens.