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Le plus haut tribunal a mis un terme, mercredi, au débat entre le gouvernement du Québec et le conseil de bande en confirmant une décision rendue en décembre 2022 par la Cour d’appel du Québec. Celle-ci avait infirmé une décision rendue trois ans plus tôt, en décembre 2019, par le juge Robert Dufresne de la Cour supérieure qui, lui, avait plutôt donné raison à Québec et Ottawa, estimant que les deux gouvernements avaient respecté leur contrat.
La Cour d’appel avait au contraire estimé que la question dépassait le simple contrat et mettait en cause la bonne foi des gouvernements dans la gestion de l’entente tripartie entre Ottawa, Québec et le conseil de bande. Elle avait ainsi condamné Ottawa à verser près de 833 000 $ et Québec un peu plus de 767 000 $, ce qui représente leurs parts respectives de 52 % et 48 % de financement de l’entente.
Voyez les détails dans le reportage de Jade Laplante dans la vidéo ci-contre.
Ottawa avait accepté de payer le montant, mais Québec avait décidé d’aller seul devant la Cour suprême pour tenter de faire infirmer la décision.
Le plus haut tribunal tranche, à huit voix contre une, en faveur de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, le conseil de bande qui représente la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh à Mashteuiatsh, une communauté innue située sur la rive ouest du lac Saint-Jean, près de Roberval. La Cour suprême donne ainsi raison à la Cour d’appel qui avait statué qu’au-delà du droit contractuel, «le refus de ces gouvernements de financer la Sécurité publique de Mashteuiatsh (SPM) permet de conclure à la fois à une violation du principe de la bonne foi et au non-respect de l’honneur de la Couronne».
La SPM avait accumulé des déficits année après année entre 2013 et 2017 pour totaliser tout près de 1,6 million $ en raison d’un financement gouvernemental insuffisant. Le conseil de bande avait porté le dossier devant les tribunaux, s’appuyant à la fois sur le droit contractuel privé et sur le droit public, ancré dans les principes de droit autochtone. Le conseil de bande soutenait que le Canada et le Québec auraient refusé de véritablement négocier les clauses financières des ententes, ce qui constituerait un manquement tant aux exigences de la bonne foi qu’aux obligations, plus lourdes encore pour l’État, découlant de l’honneur de la Couronne.
Ce déficit était surtout attribuable à une sentence arbitrale rendue en juillet 2014 qui avait accordé aux policiers de Mashteuiatsh une augmentation rétroactive à compter du 1er avril 2009, une facture imprévue de 853 000 $ qui avait continué à gonfler par la suite en raison des augmentations de salaire imprévues octroyées par l’arbitre.
Le tribunal estime que «l’octroi de dommages‑intérêts équivalents aux déficits accumulés est une mesure opportune qui permettra aux parties contractantes d’aborder les prochaines négociations sereinement».
Dans sa décision écrite par le juge Nicholas Kasirer, la Cour suprême estime que «le refus du Québec de renégocier sa contribution financière lors du renouvellement des ententes n’était pas conforme au principe de la bonne foi, source d’obligations de droit privé énoncée à (l’article 1375 du Code civil du Québec) qui gouverne la conduite des parties lors de l’exécution d’un contrat. Il constituait aussi un manquement à l’obligation d’agir conformément à l’honneur de la Couronne, relevant pour sa part du droit public, qui s’imposait au Québec dans l’exécution des ententes tripartites».
«En adoptant une posture d’intransigeance par son refus de négocier, le Québec a agi contrairement à ce que les ententes stipulaient (…) Ce comportement était déraisonnable en ce qu’il trompait la confiance légitime de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan et ébranlait l’objectif contractuel des parties, à savoir le maintien de la SPM», écrit le juge Kasirer.
Quant à la question de l’honneur de la Couronne, le magistrat souligne que ce principe «constitue une telle règle de droit public qui peut, dans certains contextes, élargir le champ de la responsabilité étatique».
«Puisque les ententes tripartites contemplaient la renégociation de leurs clauses financières, l’honneur de la Couronne imposait à celle‑ci l’obligation de se comporter honorablement lors des négociations de renouvellement. Le Québec n’a pas respecté cette obligation. Par son attitude intransigeante, il a manqué à son honneur en refusant de négocier les conditions financières des ententes tripartites. Le Québec a refusé de considérer les demandes répétées de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan de renégocier le niveau de financement de son corps de police, alors qu’il savait pourtant que la SPM était sous‑financée et que Pekuakamiulnuatsh Takuhikan accepterait un niveau de financement insuffisant pour éviter d’avoir recours aux services inadaptés de la Sûreté du Québec. Cette conduite représente un manquement à l’obligation d’exécuter les ententes tripartites avec honneur et intégrité (…) le Québec s’est conduit d’une manière qui se situait bien en deçà de la norme qui caractérise une conduite honorable», tranche le juge Kasirer.
«La relation entre les parties a été minée par l’attitude intransigeante du Québec au stade du renouvellement des ententes tripartites. Cette attitude lui a profité et a nui à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, et ce, non seulement sur le plan financier, mais également sur le plan de la qualité de la desserte policière.»
À Québec, le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, n'a pas voulu réagir dans l'immédiat à la sévérité du jugement posé par le plus haut tribunal, expliquant que la décision était trop récente. «On vient de le voir, je le comprends très, très bien. C'est un dossier que je suis de près avec mon collègue qui est à la sécurité publique, mon collègue à la justice.»
«Quand on parle de sécurité publique, vous le savez, c'est un dossier qui est extrêmement important pour moi, mais là, je veux voir quelle sera la position (du ministre de la) Justice là-dedans, parce que c'est vraiment un jugement qui vient de tomber», a simplement dit le ministre.
Seule dissidente à la décision, la juge Suzanne Côté estime au contraire que «le principe de la bonne foi et celui de l’honneur de la Couronne ne permettent pas à une cour d’écarter ou d’ignorer certaines clauses expresses d’un contrat et d’imposer des obligations qui sont incompatibles avec leurs termes non ambigus».
Selon elle, «les ententes limitent en des termes exprès la contribution des gouvernements à une somme maximale déterminée chaque année (…) De plus, au terme des ententes, Pekuakamiulnuatsh Takuhikan est responsable des déficits encourus au-delà de la contribution financière que souhaitent offrir les gouvernements et les gouvernements ne sont pas responsables des engagements pris par Pekuakamiulnuatsh Takuhikan.»
Elle rappelle que «les parties gouvernementales ne se sont pas engagées à assumer l’entièreté des coûts liés à la création et au maintien d’un service policier pouvant assurer le même niveau de service que celui dont bénéficient les collectivités environnantes. Une telle obligation ne se retrouve nulle part dans le libellé des ententes».
«Le principe de l’honneur de la Couronne, selon elle, ne permet pas de réécrire les clauses des ententes tripartites pour y introduire une obligation pour le Québec d’assumer l’entièreté des coûts liés à la création et au maintien de la SPM.»
Contrairement à l’opinion majoritaire, elle estime que «le Québec a rempli tous ses engagements et n’a abusé d’aucun droit prévu au contrat, y compris quant au renouvellement des ententes tripartites. Il n’était pas déraisonnable pour le Québec de s’en remettre à la lettre des ententes concernant la responsabilité des déficits accumulés».