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La solitude, «épidémie silencieuse» chez les jeunes

Affectant un jeune québécois de 18 à 24 ans sur deux, la solitude émerge comme une menace pour la santé publique, mais est-elle prise au sérieux par les autorités? 

La solitude, «épidémie silencieuse» chez les jeunes

Affectant un jeune québécois de 18 à 24 ans sur deux, la solitude émerge comme une menace pour la santé publique, mais est-elle prise au sérieux par les autorités? 

Pour Sean, l'école secondaire a représenté les «cinq années les plus difficiles de [sa] vie», un chapitre où il s'est souvent senti marginalisé et incompris. La solitude a trop souvent été sa compagne pendant son parcours scolaire marqué au fer rouge par la pandémie.

«Je dormais le jour, j’étais réveillé la nuit. J'ai développé de l'anxiété sociale», se remémore-t-il. L’étudiant de 18 ans raconte aussi avoir mal vécu le retour à une socialisation «forcée», après trois ans de solitude à la maison. «Ça a été un coup dur pour moi.»

Noovo Info a rencontré le jeune adulte un jeudi soir de janvier dans les locaux montréalais de l'organisme LOVE Québec. Il y côtoie régulièrement d’autres jeunes ayant un vécu parsemé d'embûches. Ensemble, ils partagent un objectif commun: briser leur isolement.

La pandémie a mis en lumière un problème resté bien longtemps dans l’ombre: la solitude n’est pas l’apanage des aînés, bien au contraire.

Selon les données les plus récentes de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), près de la moitié (49%) des jeunes de 18 à 24 ont avoué éprouver la solitude «parfois ou souvent». C’était le cas d’à peine 19% des répondants de 70 ans et plus.

«Il y en a beaucoup qui viennent ici, parce que pour la première fois ils peuvent parler à quelqu'un et parler à d’autres jeunes, avec un encadrement et du respect», affirme Audrey Brunette, directrice des programmes à LOVE Québec. 

L'organisme propose des ateliers artistiques aux jeunes vulnérables, utilisant la photographie, l'écriture ou les groupes de discussion pour ouvrir le dialogue sur leur histoire, leurs émotions et améliorer leur capacité à développer des liens sociaux avec leurs pairs.

«Ça leur permet de comprendre que, peu importe d’où ils viennent, une émotion peut être la même chez une autre personne, et qu’ils ne sont pas seuls», explique Mme Brunette.

C’est un peu avec cet objectif en tête que Towa - 18 ans - est devenu bénévole pour LOVE Québec. Tout comme Sean, il est toujours conscient des profondes marques laissées par la pandémie.

«Je ne voulais plus aller dehors. J’ai arrêté de faire du sport, se souvient-il. Et quand j’ai revu mes amis devant moi, c’était bizarre. C’était déconcertant. Je n’étais plus du tout confortable.»

Towa raconte avoir commencé à ressentir la solitude après avoir immigré au Canada en 2013.
Towa raconte avoir commencé à ressentir la solitude après avoir immigré au Canada en 2013.

Son histoire de solitude prend aussi racine à son immigration au Canada en 2013. 

«Je me suis senti divisé par ma culture. C’était vraiment difficile. Tout était différent. La chose qui me manquait le plus, c’était le sens de la communauté. [...] J’ai aussi eu de la difficulté à trouver des gens qui aimaient les mêmes choses que moi», admet-il.

Comme pour Towa et Sean, la solitude se dissimule derrière les visages et les récits des jeunes qui franchissent les portes de l'organisme. Audrey Brunette n'est donc pas surprise par les statistiques de l'INSPQ.

«Les jeunes entrent souvent dans le monde adulte avec beaucoup de responsabilités, ils peuvent vivre de la solitude dans le fait de ne pas se sentir validés surtout quand ils s’identifient à une communauté plus marginalisée», souligne-t-elle. À son avis, le Québec gagnerait à donner davantage d’occasions aux jeunes adultes de se sentir entendus.

La solitude, c'est quoi?
D’un point de vue scientifique, la solitude néfaste se caractérise par «le fait de se sentir isolé, de ne pas avoir de relations sociales suffisantes ou satisfaisantes, en termes de qualité et de quantité. Et ce sentiment fait souffrir», explique la chercheuse de l'INSPQ, Julie Lévesque. 

Un danger sous-estimé

Depuis des années, Julie Lévesque étudie avec attention le phénomène de la solitude, le considérant comme un défi de santé publique trop souvent sous-estimé, allant jusqu'à le qualifier d’«épidémie silencieuse». 

«La solitude n'est pas simplement un sentiment, mais un facteur de risque significatif pour la santé physique et mentale», expose l’experte de l’INSPQ.

«Nous observons des implications majeures sur la santé mentale, incluant une augmentation du risque de dépression, d'anxiété, de perte de sommeil, et de démotivation pouvant aller jusqu’au suicide», ajoute-t-elle.

Les recherches à l'échelle mondiale identifient également la solitude comme un facteur contribuant à des risques bien réels sur la santé physique de ceux qui en souffrent.

«Les études démontrent que c’est un facteur de risque sur l’espérance de vie et la santé aussi élevé que le tabagisme, l'obésité ou les formes de pollution ou la malbouffe», résume Mme Lévesque.

Selon elle, bien que les données sur la solitude chez les jeunes soient encore limitées, certaines hypothèses suggèrent que les importantes transitions vécues à cette période, telles que le départ du domicile familial ou un premier emploi, peuvent contribuer à cet isolement. 

«Ces transitions peuvent réduire notre réseau social, et faire en sorte qu'on puisse se sentir parfois isolés.»

UN MINISTRE DE LA SOLITUDE ?
Ailleurs sur la planète, plusieurs pays intègrent la notion de solitude dans leur politique de santé publique. Au Royaume-Uni et au Japon, des ministres sont responsables des dossiers liés à ce phénomène et chargés d'établir des initiatives locales et nationales pour y remédier. L'an dernier, le médecin en chef des États-Unis a publié un avis sur l'urgence d'agir contre la solitude. Le Dr. Vivek Murthy soulignait dans son rapport que «le temps consacré à des relations sociales en personne est passé de soixante minutes par jour en 2003 à vingt minutes par jour en 2020». 

Connectés, mais isolés

Parler de solitude signifie également mettre en lumière l'impact des réseaux sociaux sur le quotidien de la génération Z. 

«Il y a tellement de pression. Tu t’imagines la personne idéale. [...] Les réseaux sociaux lancent un message aux jeunes qu’ils ne sont pas parfaits, et que tu ne sais pas comment le devenir. Et c’est là qu’ils s’isolent», témoigne Sean. 

Même s'ils sont constamment en communication avec les autres en ligne, les jeunes sont plus susceptibles de dire ressentir la solitude que les personnes âgées.
Même s'ils sont constamment en communication avec les autres en ligne, les jeunes sont plus susceptibles de dire ressentir la solitude que les personnes âgées.

«Le fait d'avoir des “J'aime”, des abonnés, des commentaires sur nos photos, fait que la validation en personne est rare. Ça brise ce lien que les réseaux sociaux ne peuvent pas offrir», renchérit Audrey Brunette.

Pour Julie Lévesque, la pression sociétale associant la réussite au nombre de relations contribue assurément à l'isolement. 

«On se sent parfois honteux d’avoir peu d'amis, on vit ça comme un échec.» 
— Julie Lévesque, chercheuse à l’INSPQ

La chercheuse plaide pour une action préventive et une sensibilisation accrue, particulièrement dans les écoles primaires et secondaires. «Agir tôt pour favoriser des milieux scolaires propices aux relations saines et positives est crucial», croit-elle.

À preuve, jamais Sean n’a entendu parler de la solitude et de ses impacts potentiels sur sa santé lors de son parcours scolaire.

«On parle d'éducation sexuelle, de drogues ou encore du suicide, mais on ne parlait pas des problèmes sous-jacents, raconte le jeune homme. C'est triste. Il faut plus de sensibilisation, car en ce moment c’est un tabou.»

En attendant des changements dans l’approche des autorités sanitaires, Towa envoie ce message d’espoir à d’autres jeunes qui — comme lui — se sont déjà sentis abandonnés ou isolés.

«Il y a des gens qui sont là pour t’aider à te guider dans tes émotions. Il faut aller chercher de l’aide, et l’accepter.»

Si vous ou une personne de votre entourage avez besoin d'aide, il existe des ressources:

Jeunesse, J'écoute: 1-800-668-6868 ou par texto au 686868

LOVE Québec: 514-938-0006

Si vous êtes en crise, veuillez vous rendre au service d’urgence le plus proche ou appeler le 9-1-1.