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Fatigue chronique: le mal invisible

Face à un réseau de santé mal équipé pour les accompagner, plusieurs des 120 000 Québécois atteints du syndrome de fatigue chronique apprennent entre eux à gérer leur maladie, sur les réseaux sociaux. Et depuis la pandémie, des milliers de personnes atteintes de COVID longue viennent gonfler leurs rangs.

Fatigue chronique: le mal invisible

Face à un réseau de santé mal équipé pour les accompagner, plusieurs des 120 000 Québécois atteints du syndrome de fatigue chronique apprennent entre eux à gérer leur maladie, sur les réseaux sociaux. Et depuis la pandémie, des milliers de personnes atteintes de COVID longue viennent gonfler leurs rangs.

Quand elle a reçu son diagnostic d’encéphalomyélite myalgique — le syndrome de fatigue chronique — le premier réflexe de la Dre Caroline Grégoire a été de chercher un psychiatre. Malgré ses années de formation, la médecin de famille ne connaissait pas la maladie, qui la clouait au lit et l’empêchait d’accomplir même les petites tâches du quotidien depuis des mois. Comme plusieurs professionnels de la santé, elle a d’abord supposé que ce qu’elle vivait trouvait son origine entre ses deux oreilles.

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«Le syndrome de fatigue chronique, moi, je pensais vraiment que c’était psychosomatique. J’avais moi-même ce préjugé envers moi», confie-t-elle. 

Caroline Grégoire ignore si elle pourra un jour reprendre sa carrière de médecin.
Caroline Grégoire ignore si elle pourra un jour reprendre sa carrière de médecin.

Laissée à elle-même par des médecins qui connaissaient mal la maladie, Caroline Grégoire a dû faire ses propres recherches pour apprendre à gérer le «symptôme cardinal» de l'encéphalomyélite myalgique (EM): le malaise post-effort.

Même si l’EM est reconnue comme une maladie neurologique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 1969 et afflige plus de 120 000 Québécois, il n’est pas rare que les patients qui en sont atteints reçoivent des conseils de santé inappropriés.

Les patients atteints d’EM doivent apprendre à respecter leur capital énergétique, et planifier leurs activités quotidiennes pour s’assurer de ne pas dépasser leurs limites, sans quoi ils s’exposent à un crash débilitant — le malaise post-effort — qui peut durer plusieurs jours. Cette approche, appelée pacing, est considérée comme la plus efficace à ce jour pour gérer l’EM.

La théorie des cuillères

Pour expliquer le pacing, on utilise parfois l’allégorie des cuillères. Inventée par une autrice américaine atteinte du lupus, la méthode consiste à allouer un nombre de «cuillères» à une activité du quotidien — prendre une douche, faire l’épicerie, préparer un repas —, en fonction de la quantité d’énergie qu’elle demande. C’est une représentation visuelle qui permet à la personne malade de déterminer ce qu’elle peut accomplir dans une journée, et ce qui devrait être remis au lendemain pour éviter de provoquer un malaise post-effort.

Caroline Grégoire s’est par exemple fait dire par une ergothérapeute de «se forcer un peu» pour faire davantage d’activités avec sa fille, alors qu’elle avait de la difficulté à prendre une douche. Une kinésiothérapeute lui a quant à elle fait faire du vélo stationnaire. «Elle m’a trop poussée et j’ai crashé», se remémore-t-elle. 

«Pourtant, on sait que ce n’est pas une question de reconditionner les gens à l’exercice physique, rappelle le chercheur Alain Moreau, qui dirige le Réseau interdisciplinaire et collaboratif sur l’encéphalomyélite myalgique. Il faut absolument oublier cette notion-là.»

Au fil du temps, Caroline Grégoire a appris à «faire le ménage» dans son quotidien pour préserver son énergie. Des tâches simples comme cuisiner un repas ou prendre une douche doivent souvent être remises au lendemain pour éviter de vivre les conséquences pendant des jours.

«Juste passer une fin de semaine avec ma fille, c’est déjà trop», souffle la maman, qui a dû modifier son arrangement de garde partagée pour sa fille de 9 ans, afin de lui permettre de récupérer entre ses visites. 

Lors d'un malaise post-effort, les personnes atteintes d'EM peuvent être clouées au lit pendant plusieurs jours.
Lors d'un malaise post-effort, les personnes atteintes d'EM peuvent être clouées au lit pendant plusieurs jours.

Maladie méconnue

Les causes de l’EM sont encore mal comprises, mais la maladie se déclare souvent à la suite d’une infection virale, comme la grippe, la mononucléose; ou bactérienne, comme la maladie de Lyme. Les symptômes sont nombreux, mais incluent généralement une fatigue inexpliquée et persistante, des douleurs, des problèmes cognitifs, ainsi que le fameux malaise après effort. Plus récemment, la COVID-19 est venue s’ajouter à la liste des déclencheurs potentiels de l’EM. Ce qui fait dire à Alain Moreau que la province fera face à un raz-de-marée de nouveaux patients souffrant de la maladie. 

«Dans notre cohorte de COVID longue, au Québec, on voit qu’un peu plus de 50% des individus se retrouvent avec soit l’EM et/ou la fibromyalgie», note le chercheur au CHU Sainte-Justine, l’un des rares experts de la maladie au pays.

Dès 2020, l’Association québécoise de l’encéphalomyélite myalgique (AQEM) a d’ailleurs tenté d’attirer l’attention sur les liens évidents entre l’EM et la COVID longue, et a encouragé Québec à se préparer pour cette nouvelle «épidémie».  

Pourtant, trois ans plus tard, à peine huit des 15 cliniques spécialisées dans le traitement de la COVID longue et de la maladie de Lyme promises par Québec ont ouvert leurs portes. Et pour ajouter l'insulte à l'injure, les patients qui souffrent d'EM ne peuvent pas y obtenir de l'aide.

«Sachant que les acquis pour la prise en charge de la COVID longue viennent de la communauté de l’EM, il est étonnant de voir que les personnes atteintes d’encéphalomyélite myalgique ne sont pas prises en charge dans ces nouvelles cliniques», déplore la directrice générale de l'AQEM, Valérie Miller.

«Des années de recherche, d’essais et erreurs dévastateurs et de souffrance pour les personnes atteintes d'EM ont mené à ces conclusions, qui ont été appliquées aux affections post-COVID. Pas étonnant que nos membres se sentent utilisés comme des cobayes», lance-t-elle.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux affirme que «plusieurs autres» des cliniques spécialisées promises devraient ouvrir leurs portes «lors du premier trimestre de l'année 2023». 

Mais dans l'attente d'un suivi difficile à obtenir, de nombreux patients atteints de la COVID longue se tournent souvent vers Internet pour obtenir des réponses. Et en ligne, nombreux sont ceux qui ont déjà tracé des parallèles entre COVID longue et EM.

Cynthia Lapointe est en arrêt de travail depuis bientôt deux ans.
Cynthia Lapointe est en arrêt de travail depuis bientôt deux ans.

Cynthia Lapointe, 37 ans et mère de deux enfants, compose avec les symptômes débilitants de la COVID longue depuis plus d’un an et demi. 

C’est grâce à un groupe Facebook qu’elle a appris la théorie du pacing et trouvé des façons d’atténuer ses symptômes. Elle y a entre autres appris à tenir un journal de ses activités, même les plus banales, pour éviter les malaises.

Elle affirme qu’aucun des nombreux professionnels de la santé qu’elle a rencontrés depuis n’était adéquatement outillé pour l’aider. Jusqu’à présent, aucun médecin ne lui a proposé d’explorer un diagnostic d’EM, même si ses symptômes s’apparentent beaucoup à ceux de la maladie.

«Les spécialistes ne savent pas comment m’aider, dit-elle. Mes ressources, je les prends sur internet, de Pierre-Jean-Jacques qui essaie de m’aider du mieux qu’il peut.» 

En plus d’apprendre à mieux gérer sa condition, Cynthia a trouvé en ligne une communauté à l’écoute, qui l’a enfin aidée à se sentir moins seule. 

«Ce groupe-là m’a sauvé la vie. Si je n’avais pas eu ça, je ne serais plus là aujourd’hui», confie-t-elle, la voix serrée par l’émotion.

Elle décrit le sentiment de solitude «extrême» qui l’habitait avant d’entrer en contact avec d’autres personnes affligées par sa condition. 

«Tu vois tout le monde autour qui vit, qui a des projets. Toi, tu ne peux pas faire ça, laisse-t-elle tomber. Ce n’est pas normal, à 37 ans, d’avoir de la misère à se lever de son lit.

«Les gens me disent "repose-toi", raconte Cynthia. T'es drôle! La vie ne s'arrête pas parce que toi, tu es malade.»
«Les gens me disent "repose-toi", raconte Cynthia. T'es drôle! La vie ne s'arrête pas parce que toi, tu es malade.»

C’est aussi cet esprit de communauté qui permet à Jacques Dubé, atteint d’EM depuis une vingtaine d’années, de se sentir utile. Il siège au conseil d’administration de l’AQEM et anime chaque semaine un atelier de groupe, par visioconférence.

«C’est grâce aux réunions Zoom de l’AQEM, grâce à notre groupe Facebook, qu’on va chercher de l’information, dit-il. J’en apprends encore tous les jours sur la maladie.»

Pour atténuer les symptômes cognitifs liés à ses malaises post-effort, Jacques Dubé utilise un masque vibrant qu'il a découvert grâce à une autre personne atteinte d'EM. «C'est le seul outil qui me permet de fonctionner», dit-il.
Pour atténuer les symptômes cognitifs liés à ses malaises post-effort, Jacques Dubé utilise un masque vibrant qu'il a découvert grâce à une autre personne atteinte d'EM. «C'est le seul outil qui me permet de fonctionner», dit-il.

Mais même pour des personnes qui connaissent bien le réseau de santé et la santé humaine, comme Caroline Grégoire, faire ses propres recherches demande une énergie qu’elles n’ont souvent pas. 

«Il y a des moments où il ne se passe rien parce que je n’ai pas le jus pour rappeler mon spécialiste, pour redemander un suivi. Mon amélioration devient tributaire de mon état de santé», déplore-t-elle.

«Quand les gens nous voient, c'est qu'on est dehors et qu'on va bien. Ils ne me voient pas quand je suis en "crash" chez moi», rappelle Caroline.
«Quand les gens nous voient, c'est qu'on est dehors et qu'on va bien. Ils ne me voient pas quand je suis en "crash" chez moi», rappelle Caroline.

Comme plusieurs soignantes pendant la pandémie, c’est au travail qu’elle a contracté l’infection qui a déclenché ses symptômes post-viraux. Ironiquement, elle se sent abandonnée par le réseau de la santé à qui elle a dédié tant d’années de sa vie.

«Très égocentriquement, je trouve ça tellement ironique et absurde que j’aie soigné toute ma vie et que la fois où j’ai besoin d’être soignée, je ne trouve personne», confie-t-elle.

L’espoir d’un traitement

Si on sent poindre l’amertume dans sa voix quand il explique à quel point le réseau de santé québécois a fait du surplace depuis son diagnostic en 2004, Jacques Dubé se dit malgré tout encouragé de l’attention portée à l’EM dans la foulée de la pandémie.

Jacques Dubé a reçu son diagnostic d'encéphalomyélite myalgique il y a plus de 20 ans.
Jacques Dubé a reçu son diagnostic d'encéphalomyélite myalgique il y a plus de 20 ans.

«Je suis confiant que plus on va en parler, plus de gens vont s’apercevoir que c’est ce qu’ils ont, dit-il. Et alors, ils n’auront pas le choix de développer la recherche pour des traitements.»

Un espoir partagé par Cynthia Lapointe. 

«J’essaie de rester positive, dit-elle. Je me dis toujours que c’est peut-être la dernière semaine, le dernier mois, la dernière année avant d’aller mieux.»

Mais Caroline Grégoire, elle, souhaite voir un réseau de la santé beaucoup plus proactif. «Il faut qu’on ait des cliniques où les médecins se sentent assez informés pour essayer des médicaments et des traitements, réclame-t-elle. On n’a pas le temps - je n’ai pas le temps - d’attendre cinq ans pour que les protocoles soient mis à jour.»