Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a pu mesurer jeudi la résistance face à son projet de doter le Québec d’une constitution alors que s’ouvraient les consultations sur ce projet de loi en commission parlementaire.
Avant même l’ouverture de ces consultations, plus de 300 organisations de la société civile s’étaient réunies pour réclamer le retrait du projet, certaines annonçant leur intention de ne pas participer à ces consultations. Puis, en ouverture, les partis d’opposition ont tour à tour fustigé le projet du ministre avant que celui-ci ne trouve réconfort dans les propos des premiers groupes, nettement favorables, appelés à comparaître.
D’abord à Montréal, le regroupement chapeauté par la Ligue des droits et libertés, qui comprend des organisations de défense de l’environnement, des libertés civiles, des groupes communautaires et des syndicats, entre autres, a dit voir dans ce projet de loi «une menace pour la démocratie, l’État de droit et le régime québécois de protection des droits et libertés», selon leur déclaration commune, présentée en conférence de presse.
La provision de la loi constitutionnelle qui empêche tout groupe recevant un financement de l’État de contester la constitutionnalité d’une loi est cependant la question qui préoccupe au plus haut point les intervenants. Cette disposition «qui interdit à des centaines d’organismes au service de la société civile de contester la constitutionnalité de certaines lois est à notre avis une muselière qui restreint l’accès à la justice et la capacité de la société civile d’exercer son rôle de contre-pouvoir», a déclaré Geneviève Paul, directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement.
Les organismes reprochent également au gouvernement caquiste d’avoir choisi d’agir en vase clos, sans consultations publiques préalables. Quant au fait de ne pas participer aux consultations, le président du Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN, Bertrand Guibord, a soutenu que «ça ne sert pas à grand-chose de participer à des consultations quand le gouvernement de la CAQ s’est mis une idée en tête».
Tir groupé des oppositions
Dans l’heure suivante, le ministre Jolin-Barrette lançait les consultations en déclarant que «nous avons l’occasion d’adopter une constitution qui rassemblera tous les Québécois autour d’un projet qui rend justice à nos institutions, à nos valeurs et notre manière de vivre, qui ne sont ni caquistes, ni solidaires, ni péquistes, ni libérales, mais fièrement et distinctement québécoises».
Les déclarations d’ouverture des partis d’opposition lui ont donné tort: «Le projet de loi 1 est un document sans légitimité et autoritaire, un projet orienté politiquement. Autoritaire, car il est le fruit de sept années de gouvernement caquiste qui travaille à museler toute personne, groupe, qui ne pense pas comme lui et qui veulent contester ses lois», a tonné le libéral André Albert Morin.
Après lui, le solidaire Guillaume Cliche-Rivard a dit voir là un projet de loi important, «mais qui part avec un grave déficit démocratique en l’absence de consultations préalables». Enchaînant à sa suite, le péquiste Pascal Paradis a qualifié l’exercice de «tentative désespérée du gouvernement de la CAQ de faire marcher la troisième voie, celle de l’autonomie du Québec dans le fédéralisme canadien, troisième voie qui est un échec sur toute la ligne».
Des appuis en ouverture
Simon Jolin-Barrette a ensuite pu se réconforter avec l’ouverture des témoignages en commission parlementaire. Premiers à prendre la parole, les représentants de Droits collectifs Québec – cet organisme qui poursuit la Cour suprême pour avoir omis de traduire en français ses décisions antérieures à 1960 – ont affirmé que le projet constitutionnel est «légitime, valide et légal», dans les mots de l’avocat de l’organisme, Me François Côté.
Contrairement aux multiples critiques, Me Côté s’est dit d’avis que le projet de loi 1 ne réduit en rien les contre-pouvoirs de la société et, en matière d’équilibre entre droits individuels et droits collectifs, le juriste a fait valoir que «les droits individuels n’existent pas dans le vide. Un droit individuel, ce n’est pas la capacité pour une personne (...) de s’extraire de sa société pour demander que l’individu passe devant tout le collectif.» Il a aussi balayé du revers de la main les critiques sur l’absence de consultations préalables: «Il y en a une consultation ici et maintenant.»
Un peu plus tard, le vice-président de l’Institut de recherche sur le Québec, Vincent Vallée, est aussi venu donner son appui à l’adoption d’une constitution québécoise. Il a utilisé une image qui a plu au ministre: «Dans les dernières années, comme on l’a mentionné dans les débats avec le Canada, on a cherché à sortir le Québec du Canada. En s’affirmant comme ça, on décide de sortir plutôt le Canada du Québec.»
Avortement: le nœud gordien
L’épineuse question de l’avortement a été abordée plus tard par la présidente du Réseau féministe québécois, Alexandra Houde. Simon Jolin-Barrette a clairement manifesté son intention de protéger le droit à l’avortement des femmes et l’article 29 du chapitre premier du projet de constitution affirme à cet effet que «l’État protège la liberté des femmes d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse».
Selon certains experts, le fait d’inscrire ce droit dans un texte de loi ouvre la porte à une contestation judiciaire. Il s’agit là d’une question juridique fort pointue et Mme Houde a reconnu que ses membres sont divisées face à cette approche: «Il n’y a pas de consensus. En fait, il faut voir ce qui est le plus plausible, quelle est la meilleure façon de protéger l’avortement. Et nous, on n’a pas été capable d’en trouver une qui était vraiment solide, qui garantit à 100 % qu’il n’y aura jamais de revirement sur le droit de l’avortement au Québec.»

