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Haine: le Bloc craint que les libéraux reculent sur une entente et les met en garde

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Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, parlant à des journalistes, le 2 décembre dernier, dans le foyer de la Chambre des communes, à Ottawa. Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, parlant à des journalistes, le 2 décembre dernier, dans le foyer de la Chambre des communes, à Ottawa. (Adrian Wyld | La Presse canadienne)

Le Bloc québécois redoute que les libéraux se retirent d’une entente qui reviendrait à acquiescer à une demande de longue date des bloquistes, dans le but de faire cheminer un projet de loi cher au gouvernement de Mark Carney.

La pièce législative en question, C-9, vise notamment à criminaliser le fait d’entraver l’accès à un lieu de culte. Selon les dires du chef bloquiste, Yves-François Blanchet, les libéraux ont approché ses troupes pour leur proposer d’amender le projet de loi afin qu’il permette aussi d’éliminer du Code criminel ce que le Bloc appelle «l’exception religieuse».

L’entente devait devenir réalité durant l’étude article par article de C-9, qui a été entamée par les élus siégeant au comité de la Justice. Or, tout ne s’est pas passé comme prévu, déplore le Bloc.

La disposition d’«exception religieuse» permet à une personne accusée de fomenter la haine d’être acquittée parce qu’elle a, «de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument».

Le Bloc québécois sent, puisqu’une réunion du comité de la Justice qui devait avoir lieu jeudi a été annulée, que les libéraux considèrent de renoncer à apporter cet amendement.

«Je rappelle à tout ce beau monde-là qu’une majorité de Canadiens et un très très large consensus de Québécois veulent qu’on mette un terme à l’exception religieuse qui permet l’invitation à la violence et les propos haineux si c’est sous prétexte religieux», a tonné jeudi M. Blanchet dans le foyer de la Chambre des communes.

«Le jugement de la population québécoise sera très sévère si les libéraux reculent sur leur propre démarche faite auprès de nous, qui, à cet égard, portons la volonté consensuelle des Québécois», a-t-il poursuivi.

Le chef bloquiste a ajouté que la crainte de sa formation politique est, plus précisément, que des rencontres du comité prévues la semaine prochaine soient aussi annulées et que les libéraux puissent donc repousser jusqu’à l’an prochain l’avancement du dossier.

La Chambre des communes doit ajourner le vendredi 12 décembre ses travaux pour que ceux-ci ne reprennent qu’à la fin janvier.

Le conservateur Larry Brock, qui est l’un des vice-présidents du comité de la justice, blâme le gouvernement Carney pour ce «gâchis libéral qui’ils ont créé».

«Nous voulons accomplir le travail, mais nous ne pouvons pas contrôler le comité quand ils annulent abruptement, quand ils mettent fin à des rencontres avant qu’elles ne soient complétées», a-t-il pesté alors qu’il se rendait à la période des questions.

L’élu s’est indigné que les libéraux aient accusé les conservateurs de faire du «filibusting» dans l’étude de C-9, c’est-à-dire d’user de tactiques pour ralentir l’étude législative.

Son collègue Andrew Lawton a pourtant, au cours d’une précédente réunion du comité, exploité pendant plus d’une heure et demie une disposition du règlement de la Chambre des communes qui lui permet essentiellement de parler tant et aussi longtemps qu’il le souhaite, pourvu qu’il touche minimalement au sujet.

Les libéraux refusent de s’expliquer

Quoi qu’il en soit, M. Blanchet et le député bloquiste Rhéal Fortin, porte-parole en matière de justice, affirment que les libéraux ont annulé la rencontre de jeudi en raison de la présence de représentants de groupes qui s’opposent à la fin de «l’exception religieuse».

«Les gens qui étaient là, je ne les connais pas et je n’adresse pas de reproche à ces gens-là. Ils ont le droit de venir faire des représentations auprès de leurs politiciens, leurs représentants. Ce n’est pas un problème», a dit M. Fortin, qui est l’autre vice-président du comité.

Il juge toutefois plus problématique la décision de suspendre les travaux du comité en raison de la présence de ces personnes. «Le problème, c’est qu’on a un agenda législatif. On travaille et on se fait dire ‘’On va arrêter pour ne pas indisposer les gens avec les exceptions religieuses’’. Quant à moi, les indisposés, ça fait partie de la job».

Le bureau du ministre de la Justice, Sean Fraser, n’a pas répondu aux questions de La Presse Canadienne. Il a plutôt fait parvenir une déclaration laconique qui n’explique en rien l’interruption de l’étude article par article de C-9.

«Notre gouvernement est prêt à retourner au travail à tout moment avec tous les partis qui sont disposés à agir de bonne foi et à se concentrer sur l’adoption des lois. D’ici là, il est difficile de faire avancer ce dossier», a soutenu la porte-parole Lola Dandybaeva.

Le «National Post» a rapporté, plus tôt cette semaine, que les libéraux s’étaient mis d’accord avec les bloquistes pour l’adoption de C-9 et le retrait de l’exception religieuse.

Mardi, le ministre de l’Identité canadienne qui présidait, jusqu’à tout récemment, le comité de la Justice, Marc Miller, s’était même dit d’accord pour retirer cette disposition du Code criminel. En mêlée de presse, il avait critiqué les conservateurs, qui s’y opposent.

«Chaque fois que les conservateurs défendent ce point de vue, ils sont en train de défendre des propos haineux de gens comme Adil Charkaoui, ce qui est inacceptable, avait déclaré le ministre. Je ne pense pas qu’on devrait utiliser la Bible, la Torah, ni le Coran pour commettre un crime haineux.»

Lors d’une manifestation en 2023, M. Charkaoui avait appelé Dieu à se charger des «sionistes agresseurs» de la Palestine et à «n’en laisser aucun». Le directeur des poursuites criminelles et pénales avait par la suite renoncé à déposer des accusations après avoir déterminé que ce discours n’était pas haineux au sens du Code criminel.

- Avec des informations de Michel Saba

Émilie Bergeron

Émilie Bergeron

Journaliste