Justice

Une femme veut tenir des pétrolières responsables de la chaleur ayant tué sa mère

Il s'agit de l'une des premières plaintes pour homicide involontaire du pays visant à tenir l'industrie des combustibles fossiles responsable de son rôle dans le changement climatique.

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Olivier Bazinet est acquitté de toutes les accusations. Olivier Bazinet est acquitté de toutes les accusations. (Envato Elements)

Une femme de l'État de Washington poursuit sept sociétés pétrolières et gazières, affirmant qu'elles ont contribué à une journée extrêmement chaude qui a entraîné l'hyperthermie mortelle de sa mère. 

Il s'agit de l'une des premières plaintes pour homicide involontaire du pays visant à tenir l'industrie des combustibles fossiles responsable de son rôle dans le changement climatique.

La plainte déposée cette semaine devant un tribunal de l'État affirme que les entreprises savaient que leurs produits avaient modifié le climat, notamment en contribuant à la vague de chaleur de 2021 dans le Nord-Ouest Pacifique qui a tué Juliana Leon, 65 ans, et qu'elles n'avaient pas averti le public de ces risques.

Le 28 juin 2021, une vague de chaleur inhabituelle a culminé avec une journée de 42,22 degrés Celsius – la plus chaude jamais enregistrée dans l'État, selon la plainte. Juliana Leon a été retrouvée inconsciente au volant de son véhicule lorsqu'un passant a appelé à l'aide. Malgré les interventions médicales, la femme est décédée.

La plainte cite Exxon Mobil, Chevron, Shell, BP, ConocoPhillips, Phillips 66 et sa filiale Olympic Pipeline Company.

«Les défendeurs savaient déjà que leurs produits à base de combustibles fossiles modifiaient l'atmosphère terrestre», dès la naissance de Mme Leon, précise la plainte déposée jeudi. «Dès 1968, les défendeurs comprenaient que l'économie dépendante des combustibles fossiles qu'ils créaient et perpétuaient intensifierait ces changements atmosphériques, entraînant des catastrophes météorologiques plus fréquentes et plus destructrices, ainsi que des pertes humaines prévisibles.»

La plainte ajoute que «la chaleur extrême qui a tué Juliana était directement liée à la modification du climat due aux combustibles fossiles.» L'avocat de Chevron Corporation, Theodore Boutrous Jr, a indiqué dans un communiqué qu'«exploiter une tragédie personnelle pour promouvoir un litige politisé en matière de responsabilité climatique est contraire au droit, à la science et au bon sens. Le tribunal devrait ajouter cette affirmation farfelue à la liste croissante de poursuites climatiques infondées que les tribunaux d'État et fédéraux ont déjà rejetées.»

ConocoPhillips, BP, Shell et sa filiale Olympic Pipeline Company ont refusé de commenter lorsque l'Associated Press les a contactées. Les autres entreprises n'ont pas répondu aux demandes de commentaires.

La plainte accuse les entreprises d'avoir dissimulé, minimisé et déformé les risques du changement climatique causés par la combustion humaine de pétrole et de gaz, et d'avoir entravé la recherche.

Des chercheurs internationaux spécialisés dans le climat ont déclaré, dans une analyse évaluée par des pairs, que le «dôme de chaleur» de 2021 était «pratiquement impossible sans les changements climatiques d'origine humaine».

Les scientifiques ont largement attribué les vagues de chaleur record, plus fréquentes, plus longues et de plus en plus meurtrières dans le monde au changement climatique, qu'ils attribuent à la combustion de combustibles fossiles. Le pétrole et le gaz sont des combustibles fossiles qui, lorsqu'ils sont brûlés, émettent des gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone, qui contribuent au réchauffement climatique.

«Les scientifiques sont aujourd'hui beaucoup plus confiants pour affirmer que, sans le changement climatique, cela ne serait pas arrivé», a avancé Korey Silverman-Roati, chercheur principal au Sabin Center for Climate Change Law de la Columbia Law School.

Le procès a été initialement rapporté par le New York Times.

«Les grandes compagnies pétrolières savent depuis des décennies que leurs produits provoqueraient des catastrophes climatiques catastrophiques, qui deviendraient plus meurtrières et destructrices si elles ne modifiaient pas leur modèle économique», a affirmé Richard Wiles, président du Center for Climate Integrity, dans un communiqué sur l'affaire. «Mais au lieu d'avertir le public et de prendre des mesures pour sauver des vies, les grandes compagnies pétrolières ont menti et ont délibérément accéléré le problème.» 

Action sans précédent

Les États et les villes s'en prennent depuis longtemps aux acteurs de l'industrie des combustibles fossiles, accusés de contribuer au réchauffement climatique. Récemment, Hawaï et le Michigan ont annoncé leur intention d'engager des poursuites judiciaires contre les entreprises du secteur pour les dommages causés par le changement climatique, mais ces États ont été confrontés à des contre-actions du ministère américain de la Justice.

L'administration Trump s'est empressée de ne pas tenir compte du changement climatique et s'est opposée aux initiatives visant à le combattre. Les États-Unis se sont retirés de l'accord de Paris sur le climat. La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), une agence dont les effectifs de prévision et de recherche météorologiques ont été réduits, ne suivra plus le coût des catastrophes météorologiques provoquées par le changement climatique. L'Agence de protection de l'environnement (EPA) a été sommée de réviser ses conclusions de longue date, qui établissaient que les gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique mettaient en danger la santé et le bien-être publics.

Parallèlement, le gouvernement fédéral a renforcé son soutien à la production pétrolière et gazière au nom d'un programme de «domination énergétique américaine», et a annulé de nombreux autres efforts et projets visant à lutter contre le changement climatique. Partout dans le monde, d'autres affaires liées au climat sont surveillées de près, car elles pourraient créer un précédent unique dans la lutte pour la responsabilisation des grands pollueurs. Un tribunal allemand a statué cette semaine contre un agriculteur péruvien qui affirmait que les émissions de gaz à effet de ser«re d'une entreprise énergétique alimentaient le réchauffement climatique et mettaient sa maison en danger.

Pourtant, une affaire visant à démontrer que ces entreprises devraient être tenues responsables du décès d'une personne est rare. Misti Leon réclame des dommages et intérêts non spécifiés.

«À l'avenir, il est difficile d'imaginer qu'il s'agisse d'un incident isolé», a souligné Don Braman, professeur associé à la faculté de droit de l'université George Washington. Nous sommes confrontés à une crise climatique qui s'aggrave. Il est inquiétant de penser que cette année, la plus chaude jamais enregistrée, sera très certainement l'une des plus froides que nous connaîtrons dans un avenir proche.»

«Au cœur de tout cela se trouve le débat sur la culpabilité des entreprises du secteur des combustibles fossiles, et il repose sur un ensemble de preuves de plus en plus nombreuses montrant que ces entreprises ont compris les dangers de leurs produits depuis des décennies», a-t-il ajouté.