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Les individus qui ressemblaient le plus aux «criminels stéréotypés» étaient plus susceptibles que les autres d'écoper d'une peine de prison.
Des gens à qui on demande de décider de l'incarcération ou non d'un criminel ont une réaction émotive presque instantanée, ont mesuré pour la première fois des chercheurs québécois et ontariens.
En revanche, la réaction de colère n'a pas été associée à l'imposition de peines plus sévères.
L'équipe de recherche de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), de l'Université d'Ottawa et de l'Université McGill a utilisé une technologie appelée «électromyographie faciale (fEMG)» pour mesurer, en microvolts, l'activation des muscles responsables du froncement des sourcils.
Les chercheurs ont présenté à 87 étudiants les photos d'une cinquantaine de véritables criminels, en leur demandant de décider -- le plus rapidement possible, en se fiant uniquement à leur instinct -- si le criminel méritait ou non une peine de prison. Bien qu'ils aient eu besoin en moyenne de 1,3 seconde pour se décider, la colère, elle, s'est manifestée en seulement 0,5 seconde, ce qui suggère que la réaction émotionnelle est essentiellement automatique.
Cette colère surgit avant même qu'on ait pu se former une opinion à partir d'éléments, par exemple, comme la nature du crime qui a été commis.
De plus, cette réaction émotionnelle de colère était plus forte face à l'image d'un individu ressemblant à ce que les chercheurs ont décrit comme étant un «criminel stéréotypé» -- à savoir un individu qui paraît peu sympathique, qui semble avoir un statut social inférieur et qui inspire la méfiance.
«On s'attendait à ce que la colère mène à des décisions plus punitives, donc à une plus forte probabilité d'envoyer quelqu'un en prison, a dit la professeure Carolyn Côté-Lussier, de l'INRS et de l'Université d'Ottawa. Mais ce n'est pas ce qu'on a vu dans l'étude. On n'a pas vu d'association entre la colère et la décision.»
En revanche, les individus qui ressemblaient le plus aux «criminels stéréotypés» étaient plus susceptibles que les autres d'écoper d'une peine de prison, et ce, même si les participants à l'étude ne savaient rien des crimes qu'ils avaient commis pour éviter que cela n'influence leur jugement (par exemple, un agresseur d'enfants vs un fraudeur).
Contrairement aux sondages menés au téléphone, lors desquels on demande par exemple aux participants s'ils considèrent que les criminels devraient être punis plus sévèrement, cette recherche a permis de mesurer la réaction intuitive des sujets.
Cette étude pourrait d'ailleurs jeter un nouvel éclairage sur ces sondages, qui servent souvent à informer les attitudes des politiciens face au système de justice.
«On veut plaire au public, on veut répondre à ce que le public veut, a dit la professeure Côté-Lussier. Mais envoyer quelqu'un en prison, ça coûte beaucoup d'argent, ça nuit à la vie de famille, ça nuit aux communautés, tu enlèves quelqu'un de la communauté. C'est une décision qui est coûteuse à tout plein de niveaux. Et je veux que lorsqu'on sonde l'opinion publique, qu'on soit plus conscient du rôle de l'émotion dans la formulation de nos préférences politiques.»
Lors d'une recherche précédente menée en 2013, la professeure Côté-Lussier avait démontré que les criminels ayant des expressions faciales de colère étaient plus susceptibles d'être punis sévèrement.
Il est aussi possible, croit-elle, d'établir un certain parallèle entre les résultats de sa plus récente recherche et le schisme social actuel, qui voit une proportion importante des citoyens vaccinés être en faveur de sanctions toujours un peu plus contraignantes pour forcer les non-vaccinés à rentrer dans le rang.
«Quand on pense que quelqu'un a fait quelque chose d'injuste, on cherche à remettre la justice, a-t-elle dit. Tu vois tous les efforts que tu fais (...) et puis là tu vois une proportion de la population qui veut faire les mêmes choses que toi, et tu penses qu'ils n'ont pas fait les mêmes sacrifices. Je pense que ça vient toucher vraiment fondamentalement à cette intuition morale, et ça engendre des réactions émotionnelles très fortes de colère.»
Les conclusions de cette étude sont publiées par la revue scientifique Psychology, Crime & Law.