Début du contenu principal.
Selon un expert, un projet touristique proposé au large de la Nouvelle-Écosse, qui permettrait d’observer les grands requins blancs à travers les barreaux d’une cage immergée, nécessite de trouver un équilibre entre les visites touristiques et les besoins des animaux.
L’observation des requins est une industrie touristique mondiale en plein essor, mais elle peut être préjudiciable, souligne Fred Whoriskey, directeur exécutif de l’Ocean Tracking Network de l’Université Dalhousie, lors d’une récente entrevue.
«Il s’agit de trouver un juste équilibre entre, d’une part, les avantages de cette activité écotouristique et, d’autre part, la possibilité de nuire physiquement aux animaux ou de modifier leur comportement d’une manière qui pourrait commencer à avoir des effets non seulement sur ces animaux, mais aussi sur des écosystèmes entiers.»
Atlantic Shark Expeditions prévoit de lancer ses excursions d’observation des requins à l’automne, offrant aux touristes la possibilité de payer pour observer les animaux dans le confort d’un bateau ou à l’intérieur d’une cage immergée dans l’eau.
Le propriétaire, Neil Hammerschlag, titulaire d’un doctorat en biologie marine et en pêche de l’Université de Miami, explique qu’il a mené des recherches sur les requins et les effets potentiels de l’écotourisme.
«Contrairement à d’autres formes de tourisme de plongée avec les requins qui impliquent de nourrir les animaux, nous n’avons pas l’intention, ou nous essayons de ne pas nourrir les animaux», dit-il.
«Nous ne restons pas non plus au même endroit. Nous allons nous déplacer.»
À lire également:
M. Hammerschlag avance que l’objectif premier de son entreprise était la science. Le projet d’écotourisme sert à financer son travail scientifique, qui consiste notamment à photographier les animaux et à les marquer pour suivre leurs déplacements.
«La science est le moteur du projet et l’écotourisme vient s’y ajouter», affirme M. Hammerschlag.
Aaron MacNeil, professeur au département de biologie de l’Université Dalhousie, s’interroge sur les motivations de M. Hammerschlag.
«S’il s’agissait d’un objectif scientifique, on ne ferait pas payer les gens et on ne créerait pas une entreprise autour d’elle, n’est-ce pas ? La motivation, l’objectif principal, semble donc être que les gens viennent vivre une expérience avec ces animaux. Et ce n’est pas ce que vous feriez si votre objectif premier était une étude scientifique.»
M. MacNeil se dit particulièrement préoccupé par le projet de M. Hammerschlag de proposer des excursions touristiques à environ cinq kilomètres au large de Liverpool, en Nouvelle-Écosse, où les surfeurs ont l’habitude de venir.
«Pour quelqu’un qui vient s’installer là, vous savez, cette opération de cages de requins, une opération de plongée… ce n’est probablement pas dans l’intérêt du public, il va y avoir une menace accrue pour les utilisateurs récréatifs.»
M. Hammerschlag, quant à lui, martèle que la distance de cinq kilomètres au large du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse est «très éloignée» du rivage et que les bateaux de tourisme ne gêneront pas les surfeurs.
Mais M. MacNeil rétorque que cette distance «semble sortir de nulle part», ajoutant qu’il aimerait que le gouvernement présente une justification scientifique de ce chiffre.
Pêches et Océans Canada confirme avoir délivré un permis en vertu de la Loi sur les espèces en péril à Atlantic Shark Expeditions, ce qui permet à l’entreprise de mener des recherches scientifiques sur les tendances de la population, la santé et l’habitat de l’animal. Le permis sera valable pour la période du 1er mai au 30 novembre, pour les années 2023 et 2024, selon la porte-parole du ministère, Christine Lyons.
«Ces permis sont délivrés dans des circonstances spécifiques définies par la loi sur les espèces en péril et uniquement lorsque certaines conditions préalables sont remplies», indique-t-elle dans une déclaration. Mme Lyons a refusé une demande d’entrevue pour expliquer quelles étaient ces conditions préalables, comment le ministère contrôlerait les opérations de la société ou ce qui justifiait la distance de cinq kilomètres du rivage. Elle dit qu’elle enverrait une réponse la semaine prochaine.
Le grand requin blanc est considéré comme vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature et comme menacé par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada.
Selon M. Whoriskey, la mesure la plus importante à prendre lorsqu’il s’agit d’une espèce en voie de disparition est de la protéger. Selon lui, si les animaux voient des gens les nourrir à partir de bateaux, «vous changez le comportement des animaux, vous les conditionnez à croire que les gens représentent de la nourriture».
«Et lorsqu’un bateau arrive, ils s’approchent et commencent à chercher de la nourriture auprès des gens, voire à devenir agressifs s’ils n’en trouvent pas.»
Une étude publiée en 2020 dans la revue Environmental Law appuie les déclarations de M. Whoriskey, affirmant que si le tourisme peut constituer une incitation économique à protéger les populations de requins dans certains cas, le fait de nourrir les animaux a des conséquences à la fois sur l’écologie et sur la sécurité. Selon l’étude, les effets de ces actions sont vivement contestés par les scientifiques.
«La plupart d’entre eux signalent des changements de comportement chez les requins participants, mais l’importance et la gravité de ces changements font l’objet d’un débat intense et permanent», indique l’étude, intitulée «Blood in the water: shark feeding, tourism, and the law» (Du sang dans l’eau: le nourrissage des requins, le tourisme et la loi).
M. Hammerschlag n’est pas d’accord, car il estime qu’un requin n’associera pas un bateau à un être humain.
«L’idée est d’attirer le requin vers le bateau pour susciter son intérêt, mais cet intérêt peut ne pas durer très longtemps, explique-t-il. Souvent, lorsque l’activité s’arrête, les animaux reprennent leurs activités normales et ne semblent plus fréquenter ces zones.»