Un juge fédéral a temporairement bloqué jeudi le décret présidentiel de Donald Trump redéfinissant le droit de naissance, le qualifiant de «manifestement inconstitutionnel» lors de la première audience d’un effort de plusieurs États contestant le décret.
Le juge de district américain John Coughenour a interrompu à plusieurs reprises un avocat du ministère de la Justice pendant les plaidoiries pour lui demander comment il pouvait considérer le décret comme constitutionnel. Lorsque l’avocat, Brett Shumate, a dit qu’il aimerait avoir la possibilité de l’expliquer lors d’un breffage complet, M. Coughenour lui a mentionné que l’audience était sa chance.
L’ordonnance de restriction temporaire demandée par l’Arizona, l’Illinois, l’Oregon et Washington a été la première à être entendue par un juge et s’applique à l’échelle nationale.
Cette affaire est l’une des cinq poursuites intentées par 22 États et un certain nombre de groupes de défense des droits des immigrés à travers le pays. Les poursuites comprennent des témoignages personnels de procureurs généraux qui sont citoyens américains de naissance et des noms de femmes enceintes qui craignent que leurs enfants ne deviennent pas citoyens américains.
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M. Coughenour, nommé par Ronald Reagan, a commencé l'audience en interrogeant les avocats de l'administration, affirmant que l'ordre «dépasse l'entendement».
«C'est un ordre manifestement inconstitutionnel», a soutenu le juge Coughenour face à Me Shumate. M. Coughenour a indiqué qu'il était sur le banc depuis plus de quatre décennies et qu'il ne se souvenait pas d'avoir vu un autre cas où l'action contestée était aussi clairement inconstitutionnelle.
Me Shumate a souligné qu'il n'était pas d'accord avec lui et a demandé au juge la possibilité d'avoir un exposé complet sur le bien-fondé de l'affaire, plutôt que de se voir délivrer une ordonnance de restriction de 14 jours bloquant sa mise en œuvre.
Le décret exécutif de Donald Trump, qu'il a signé le jour de son investiture, devrait entrer en vigueur le 19 février. Il pourrait avoir un impact sur des centaines de milliers de personnes nées dans le pays, selon l'une des poursuites. En 2022, il y a eu environ 255 000 naissances d’enfants citoyens de mères vivant illégalement dans le pays et environ 153 000 naissances de deux parents de ce type, selon la plainte déposée par quatre États à Seattle.
Des interprétations différentes
L’administration Trump a fait valoir dans les documents déposés mercredi que les États n’ont pas de motifs pour intenter une action en justice contre le décret et qu’aucun dommage n’a encore été causé, de sorte qu’une mesure temporaire n’est pas nécessaire. Les avocats de l’administration ont également précisé que le décret exécutif ne s’applique qu’aux personnes nées après le 19 février, date à laquelle il devrait entrer en vigueur.
Les États-Unis font partie des quelque 30 pays où la citoyenneté de naissance — le principe de «droit du sol» — est appliquée. La plupart se trouvent dans les Amériques. Le Canada et le Mexique en font partie.
Les poursuites font valoir que le 14e amendement de la Constitution américaine garantit la citoyenneté aux personnes nées et naturalisées aux États-Unis. Les États interprètent l’amendement de cette façon depuis un siècle.
Ratifié en 1868 au lendemain de la guerre civile, l’amendement stipule que «toutes les personnes nées ou naturalisées aux États-Unis et soumises à la juridiction de ces États sont des citoyens des États-Unis et de l’État dans lequel elles résident.»
Le décret de M. Trump affirme que les enfants de non-citoyens ne sont pas soumis à la juridiction des États-Unis et ordonne aux agences fédérales de ne pas reconnaître la citoyenneté aux enfants dont au moins un parent n’est pas citoyen.
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Une affaire clé concernant la citoyenneté par droit de naissance s’est déroulée en 1898. La Cour suprême a jugé que Wong Kim Ark, né à San Francisco de parents immigrés chinois, était citoyen américain parce qu’il était né dans le pays. Après un voyage à l’étranger, il a été confronté à un refus de réadmission par le gouvernement fédéral au motif qu’il n’était pas citoyen en vertu de la loi sur l’exclusion des Chinois.
Certains défenseurs des restrictions à l’immigration ont toutefois fait valoir que cette affaire s’appliquait clairement aux enfants nés de parents qui étaient tous deux des immigrants légaux. Ils disent qu’il est moins clair si elle s’applique aux enfants nés de parents vivant illégalement dans le pays.
Le décret de Donald Trump a incité les procureurs généraux à partager leurs liens personnels avec la citoyenneté de naissance. Le procureur général du Connecticut, William Tong, par exemple, citoyen américain de naissance et premier Américain d’origine chinoise élu procureur général du pays, a déclaré que le procès était personnel pour lui.
«Il n’y a pas de débat juridique légitime sur cette question. Mais le fait que M. Trump ait tout faux ne l’empêchera pas d’infliger de graves dommages dès maintenant à des familles américaines comme la mienne», a soutenu M. Tong cette semaine.
L’un des procès visant à bloquer le décret exécutif comprend le cas d’une femme enceinte, identifiée comme «Carmen», qui n’est pas citoyenne, mais vit aux États-Unis depuis plus de 15 ans et a une demande de visa en attente qui pourrait conduire à un statut de résident permanent.
«Priver des enfants du "trésor inestimable" de la citoyenneté est une grave blessure», indique le procès. «Cela les prive de la pleine appartenance à la société américaine à laquelle ils ont droit.»
